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Ce blog n'est pas un livre construit mais un ensemble de touches d'émotions ou de réflexions nées de quelques années de parcours professionnel et amical dans trois pays du Sud essentiellement : Haïti, Congo RDC et le Sénégal. Vos commentaires sont bienvenus autour de ces textes sans prétention. Juste un partage pour aussi faire découvrir de belles histoires au Sud et des moins drôles. Et n'oubliez pas de cliquer sur "plus d'infos" pour voir la suite de chaque billet !

samedi 11 juin 2011

LETTRE 2 DE MISSION, HAÏTI, SEPTEMBRE 2010

Témoignage de mission N°2, septembre 2010

Suite…

Femme et enfant devant la bâche de secours de la maison

Ce témoignage de mission sera encore dur à entendre. Mais il faut lire jusqu’au bout. Alors du soleil revient sur cette terre d’Haïti. Dieu peut être aussi. En tous cas il n’y a pas encore de dégâts cycloniques.
Alors les Haïtiens, ceux avec qui je travaille depuis des années, ont parlé. Ont réagi à mes impressions de départ. Je suis obligé de taire les noms. Mais ce sont toutes des personnes qui ont fait des choix fondamentaux pour servir leur pays et cela depuis des années. Les familles (femmes et/ou enfants) sont partis dans bien des cas mais mes amis ont choisi de rester alors qu’ils assistent à une vraie hémorragie de cerveaux autour d’eux.

A propos des ONG internationales

« Des médecins quittent le pays en masse. Pourquoi resteraient-ils ? Les ONG internationales viennent soigner leurs patients. Elles apportent leurs médicaments donc les pharmaciens plient bagages aussi ». Je n’interprète pas. Je ne me fais pas un film. Lionel témoigne. Il faut des caisses de résonnance à ses propos.
Il va plus loin : « toutes ces ONG internationales sont en train de tuer nos organisations. Ils prennent les voitures de location (on va rire quand les candidats à la Présidence vont vouloir faire leurs tournées), ils occupent les rares maisons disponibles (forcément avec le tremblement de terre l’habitat est rare !) et les loyers montent. Ils prennent les cadres haïtiens. Et tout est voué à l’échec. On n’a plus qu’à plier bagages ».
Une grande ONG internationale a donné 100 bâches. La procédure a été longue : il a fallu trois mois pour avoir les bâches ! Pour la distribution ils ont fait venir un expert étranger alors que nous avions eu un partenariat de trois ans avec cette organisation. Le partenariat avait été audité sans problème. Et on envoie un  étranger pour contrôler la distribution de 100 bâches. il a même contrôlé la distribution des deux bâches qui étaient pour nos employés ! Au départ nous n’avions pas le droit de prendre les 100 bâches d’un coup. Juste par paquet de 10 avec un laissez-passer et nous devions revenir pour un autre paquet de 10 et le transport était à notre charge. Par la suite ils ont laissé tomber cette condition. Et ils nous envoient des « experts » qui ne parlent même pas français ».
Un autre de ces Haïtiens qui travaille pour les paysans ajoute : « Le comportement des ambassadeurs des ONG internationales est vraiment cynique. Je n’ai jamais vu quelque chose de plus cynique. Ils n’ont même pas la décence de se maquiller ».
« Cash for work » (salaire contre travail) ne trouve pas plus de succès auprès de mes interlocuteurs que de moi. « C’est tuer la dignité. Un quartier a refusé de donner leurs gravats à un transporteur local. Juste parce que les gens risquaient de perdre leur « cash for work ». On me dit qu’une ONG américaine a reçu 88 millions de dollars pour cette affaire. Une paille ! Mais plein d’ONG sont embarquées dans cette histoire, y compris des ONG européennes. Je visite et revisite la ville : envie de prendre des photos pour témoigner mais en même temps pas envie d’être voyeur. Uniquement avec des pelles et des brouettes et quelques camions, il faudra au moins 5 ans pour déblayer les gravats. J’aurais été président j’aurais commandé plein de bulldozers et de pelleteuses. Effacer rapidement les traces de ce qui a mis à terre la population. Traces toujours visibles qui font partie du décor. Les Haïtiens les voient-ils encore ? Lionel a tellement peur qu’on s’habitue à ce nouvel état de fait. Quand il va en province et voit une place publique il s’attend toujours à voir des tentes et des tentes et des tentes sur la dite place.
Un de nos amis a eu le soutien d’une organisation américaine. Gros soutien avec beaucoup de pub de très haut niveau. Il a gagné cet appui car il a osé dire des vérités, comme à son habitude. On lui finance des bâtiments mais il doit préfinancer alors qu’on le presse pour une toute grande inauguration. Et le temps passe. Il a des dettes puisqu’il a préfinancé. On lui envoie un ingénieur des Etats Unis pour vérifier les travaux. Puis on lui dit qu’il faut refaire les factures comme ceci et comme cela. Pendant ce temps les intérêts sur les crédits tombent. L’ami est furieux de cette relation d’aide si compliquée.

Sur les élections qui approchent

La lutte va être rude d’ici novembre : 19 candidats. Mais pas « encore » de programmes. Les choses énoncées par nos amis dignes de foi font frissonner.
« Avec le tremblement de terre il y a eu entre 250 000 et 300 000 morts. Disons que sur cette hécatombe au moins 150 000 morts risquent de voter. De quelle mascarade parle-t-on ? »
« Les candidats achètent les cartes électorales pour 2500 gourdes. Les agents de l’ONI (office national d’identification) font du porte à porte et demandent l’identité des gens et les numéros de cartes. Pour faire quoi ? »
Des affiches mais aussi des graffitis sur les murs commencent à fleurir. « Jude Célestin : Président » ; « Président Alexis, les paysans de Kenscoff sont avec toi »
Jude Célestin serait le poulain de Préval, l’actuel Président. Alexis fut le premier ministre, entré en disgrâce comme le Premier ministre Michelle Pierre-Louis. Jude Célestin dirige les grands travaux de l’Etat au sein de la CNE. On dit que c’est le tiroir caisse de l’Etat. Sa fille gère un bon nombre de latrines de camps de tentes. Les liens familiaux comptent pour l’obtention des marchés.
De l’avis des partenaires de mes interlocuteurs, l’Etat (comprendre les ministres) ne fonctionne plus. Deux cas nous ont été signalés. L’UNICEF est prête à prendre en charge l’achat d’un million d’uniformes pour les élèves. Il suffit d’une lettre ministérielle. La lettre ne vient pas. Il y a d’autres priorités… Des Canadiens veulent lancer une grande opération de reboisement dans le cadre du bénéfice des crédits carbone. Des millions de dollars potentiels et les paysans gagneraient car ils seraient en charge d’entretenir les reboisements. Il suffit d’une lettre ministérielle. La lettre ne vient pas.
« Rien n’est fait par les politiques ». J’ose dire que ce n’est pas nouveau. Réponse des interlocuteurs : « c’est pire qu’avant. Les projets à terme plus long que novembre ne passent plus car « ils » ne seront plus là. J’ai l’impression qu’ils savent qu’ils s’en vont et qu’on doit payer la signature ».

Côté soleil

Comme toujours Inette a la pêche pour développer dans le rural. Elle s’investit sur Petit Goâve : un projet de construction de 150 maisons en dur et antisismiques avec boutiques, écoles… ; développement de la production maraîchère et de l’élevage dans la zone. Partenariat avec INDEPCO pour la formation et l’appui à des ateliers de couture. A Jérémie Inette et son organisation, l’EPER, appuie des organisations paysannes, a financé dix centres de traitement du café, travaille avec les ruraux sur la pêche, l’apiculture. Des synergies vont se créer avec le FRICS, sur soutien de l’EPER.
Au passage j’apprends que dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre Inette et son équipe ont distribués 3000 repas chaud par jour (un ancien chef cuisinier de l’hôtel KINAM les aidait) pendant 100 jours. Puis petit à petit ils ont réduit de 25% chaque mois le nombre de repas mais en remplaçant la nourriture cuite par des aliments crus pour que les familles puissent cuisiner elles-mêmes. Dans la même période l’équipe a réinstallé dans les quartiers d’origine des familles qui s’étaient réfugiées sur la Place Saint Pierre. L’opération aurait pu rater car la municipalité voulait placer ces gens et pas nécessairement des réfugiés. Inette eut un sourire : « Finalement on a remis dans leurs quartiers 72 vrais réfugiés sur 100 : c’est pas mal, non ? »
Je retrouve Inette avec beaucoup de plaisir. Cette amie depuis plus de 10 ans est une coureuse de fonds. Du temps de l’organisation de développement qu’elle dirigeait au sein de l’église méthodiste, elle plaidait pour le soutien aux PME et aux organisations paysannes. Même combat aujourd’hui avec beaucoup de réussite.
La première force de Lionel est d’être là et de porter son équipe pour plus de financement rural. Là encore un coureur de fonds qui n’a pas bougé d’un iota dans ses convictions malgré les tremblements de terre, les cyclones, les turbulences politiques. Un peu de pessimisme mais pas trop. Il y a la république de Port-au-Prince avec tous ses travers qui laisse le « pays en dehors » (le monde rural) et il y a le monde de Lionel si proche des paysans. Il n’a pas de mérite : il est agronome. Mais combien d’agronomes sont entrés dans la république port-au-princienne jusqu’à s’enliser dans la politique politicienne ?
Lionel est allé à Concertaction. Il dit : « cela devrait être un lieu de pèlerinage pour tous, voir ce qui peut se faire dans le monde rural en termes d’aménagements hydrauliques, de soutien à la structuration des paysans ». Dieu est grand. Concertaction est un partenaire du CCFD, le KNFP que Lionel dirige est un partenaire de la SIDI et on se retrouve ensemble. J’avais moi-même été impressionné quand nous avions visité Concertaction avec Xavier et Walther.
Discussion intéressante entre Paul et Lionel autour des mutuelles de solidarité (MUSO) de Vaudreuil, des champs de bananes tout près de Cité Soleil, zone supposée de chimères. Lionel et Paul ne tarissent pas d’éloges sur ces MUSO. Paul dit : « Là-bas rien ne marche, sauf les mutuelles de solidarité. Quand on leur demande pourquoi, ils disent : « parce que les règles étaient claires dès le départ ».
J’ai très envie d’aller voir ces mutuelles de solidarité avec Paul et Lionel. Malheureusement le temps manque. J’ai travaillé d’arrache pied avec Lionel pendant deux jours au vert sur le FRICS. Nous avons bien enrichi le dossier mais le temps nous manque d’autant que Carine et Lionel ont des interventions importantes à faire à un colloque organisé par le Ministère de l’économie et des Finances sur … la microfinance.
La population est sous tente. Hier à cause d’une grosse pluie et un vent fort il y a eu perte officielle de 7 vies humaines, des centaines de tentes envolées, une cinquantaine de blessés. Mais, en fin de règne, le ministère des finances fait un colloque sur un scoop : la microfinance… forcément le plus grand hôtel de la ville. Les séminaristes ont de la chance : le Montana est déjà écroulé ; il ne peut plus tomber sur leurs têtes. Vive le Karibé, champion toutes catégories des séminaires qui coûtent la peau des fesses.
Hans d’INDEPCO mériterait des lauriers. Huit mois après « l’évènement », INDEPCO est opérationnel (vu de mes yeux vu, avec une centaine de personnes qui travaillaient). De nouvelles machines remplissent le hangar qui sera bientôt climatisé avec un système d’eau en circuit fermé. Hans a des projets plein la tête pour son pays et un peu d’amertume dans les yeux. Mais l’équipe du KNFP le sollicite pour le FRICS et il est partant. En attendant, il a réussi à faire venir Bush (le fameux qui essuyait sa main sur le bras de Clinton après avoir serré des poignes haïtiennes). Hans a eu du financement de la fondation Bush Clinton pour Haïti (cela ne tombe pas tout seul !). Il peste sur les procédures des bailleurs et l’argent qui ne vient pas, l’obligeant à retarder son remboursement de la dette SIDI. Pas fier de ses partenaires Nord américains, le Hans ! Pas fier non plus d’avoir un retard de remboursement avec la SIDI. (NB : le calendrier de remboursement SIDI n’avait pas prévu le tremblement de terre).
Pendant deux jours nous avons travaillé Lionel et moi, au vert sur la construction du FRICS. Ce fut sa manière à lui de fêter son anniversaire qui tombait aujourd’hui, avec une famille au Québec. J’étais sa famille du jour et le gâteau c’était un gros pâté cuisiné ensemble sur le financement rural. Le temps nous manque pour « brassé kek lidé » mais nous y croyons très fort à ce projet. Presque pas besoin de se parler. Quelques fois fuse un « cela c’est fort !» ; on se balance tour à tour les fichiers ; chacun y met sa touche. Faut l’avouer : ce n’est plus du partenariat, c’est de la symbiose, de l’osmose, de la synergie, du fusionnel. Dol me corrigera sans doute en me disant que c’est cela le partenariat.
Envie d’inviter cette poignée de Haïtiens au Sénégal à un séminaire sur le thème : « comment se battre pour le développement de son pays en général et des ruraux en particulier ? ». Ces Haïtiens d’un pays soi-disant maudit pourraient donner de vraies leçons au monde entier mais leur humilité les en empêche. Bien des acteurs ont une épaisseur d’engagement de 10 ou 20 ans. Pas partis au premier cyclone, au premier tremblement de terre, aux premières turbulences politiques. Enchaînés à leur terre et à leurs frères avec des cordes de solidarité et d’efficacité. Et tellement d’honnêteté dans la démarche !
Le plus fort est que la solidarité prend vraiment corps en Haïti. Une toile immense qui part des milliers de MUSO, qui passe par des accompagnateurs du monde rural qui se battent avec des réussites dans des domaines très différents, des entreprises sociales. Le KNFP est le chef d’orchestre d’une magnifique symphonie ou les CONCERTACTION, FAHF, CRS, MUSO, LETAGOGO, ITECA, INDEPCO, CCFD, SIDI, EPER, TET KOLE, les autres organisations paysannes et tous ceux que j’oublie jouent leur partition. La faute à personne. La grâce de tous. On ne doit même pas dire que le KNFP est chef d’orchestre. Cela pourrait vexer. Juste de la convergence naturelle de personnes qui se reconnaissent dans de mêmes choix pour le monde rural  C’est en Haïti que nous vivons cela. On a bien entendu : HAÏTI !



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