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Ce blog n'est pas un livre construit mais un ensemble de touches d'émotions ou de réflexions nées de quelques années de parcours professionnel et amical dans trois pays du Sud essentiellement : Haïti, Congo RDC et le Sénégal. Vos commentaires sont bienvenus autour de ces textes sans prétention. Juste un partage pour aussi faire découvrir de belles histoires au Sud et des moins drôles. Et n'oubliez pas de cliquer sur "plus d'infos" pour voir la suite de chaque billet !

samedi 11 juin 2011

LA MICRO FINANCE PEUT ELLE SERVIR AUX RURAUX ?

Rappelons que la microfinance est un non concept. C’est une auberge espagnole où on trouve de tout : des systèmes mutualistes, des projets à volets crédits, des copies de Grameen Bank. Le seul point commun de ces systèmes est de faire du crédit « aux pauvres », aux exclus du système bancaire. Les notions de pauvres et d’exclus sont, elles-mêmes, ambiguës d’autant que la microfinance fabrique aussi ses exclus mais ne le dit pas trop. Dans la microfinance il est donc des différences d’activités entre les institutions qu’elle est supposée rassembler.
Mais il est aussi des différences dans les fondateurs de ces systèmes : tantôt ils sont créés par des projets de développement ou des organisations de coopération bi ou multilatérales, tantôt ils sont créés par des systèmes mutualistes étrangers, tantôt ils naissent d’initiatives de gens d’églises, d’organisations paysannes, d’ONG qui, voyant la source de leurs subventions se tarir, essaient de se trouver des revenus par le crédit. Enfin, selon les législations et la moralité des dirigeants des systèmes, l’épargne et les institutions sont plus ou moins sécurisées. La microfinance a déjà connu de grandes faillites retentissantes : Crédit Mutuel de Guinée, UCEC-B et Sahel Action au Burkina etc. La liste pourrait s’allonger car, quel que soit le pays, la régulation est faible. Dans certains cas enfin, les « pauvres » ont été victimes d’arnaques retentissantes comme dans les pyramides albanaises ou dans les cas des « coopératives 10%[1] » en Haïti, reproduites également au Bénin.
Mais la microfinance est là, omniprésente, soutenue par les grands de ce monde et les moins grands, tous ceux qui, par générosité, voudraient que les pauvres du Sud s’en sortent. Or les pauvres sont majoritairement des paysans. Peuvent-ils y progresser avec les outils mis à disposition ?


Tout va dépendre de la qualité des produits d’épargne et de crédit « offerts » par les systèmes de financement de proximité (SFP). Généralement on constate les caractéristiques suivantes :
1. l’épargne est faiblement ou non rémunérée et les conditions de rémunérations ne sont pas transparentes. Les (SFP) affichent un taux de rémunération (souvent 3% par an) avec une clause discrète : sur le plus petit solde trimestriel ! En outre des agios sont prélevés pour frais de tenue de compte, fermeture et ouverture de compte, achats de carnets d’épargne. Il est difficile pour un paysan de connaître la rémunération nette de son épargne.
2. La situation est encore moins satisfaisante (généralement) pour les crédits offerts aux ruraux.
a) les taux d’intérêt sont parfois énoncés sur le capital restant dû et parfois sur le montant octroyé. Selon les modalités de remboursement prévues un taux de 6% peut se traduire en coût pour l’emprunteur d’un montant qui varie du simple au double ;
b) les crédits sont souvent assortis de frais annexes (commissions, frais de dossiers, frais de fournitures etc.) et le taux effectif global est rarement calculé. Même s’il l’était la notion de taux reste hermétique pour les ruraux. L’usurier l’a bien compris qui, lui, exprime toujours le coût du crédit en valeur nominale ;
c) la durée des crédits est généralement courte. La disponibilité de crédits moyen terme est faible. Celle des crédits long terme est quasi nulle. Il faut reconnaître que les législations bancaires ne favorisent pas le réemploi des ressources à long terme alors que l’épargne à vue des ruraux (épargne de précaution) est particulièrement stable.
d) Pour bénéficier de crédits, les emprunteurs sont généralement obligés de présenter des niveaux de garantie élevés. La caution solidaire est une alternative limitée et nombreux sont les paysans qui s’en méfient du fait des abus qui se sont particulièrement multipliés sur les filières agricoles de rente. Les fonds de garantie créés par les projets sont fréquemment éphémères quand ils ne servent pas de fonds propres à des institutions financières qui hésitent à les mobiliser.
e) l’approche est souvent ciblée : les crédits sont mis en place pour telle ou telle activité rurale : semences, embouche, petit commerce… Mais l’exploitation familiale, qui fonctionne comme un tout cohérent, avec une diversification des activités pour assurer de la trésorerie toute l’année, est rarement prise en compte.
f) les femmes sont souvent les clientes privilégiées… depuis 35 ans. Les hommes n’étant pas aussi naïfs que peuvent le croire certains financiers, ont développé des stratégies, soit dures (« chérie, donne l’argent sinon tu retournes chez ta mère »), soit plus souples : ils transfèrent des charges (santé éducation…) sur leur épouse alors qu’avant ils les assumaient.
Nous définirons plus tard les conditions d’un bon financement rural.


[1] / Qui offraient 10% par mois de rémunération sur les dépôts.

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