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Ce blog n'est pas un livre construit mais un ensemble de touches d'émotions ou de réflexions nées de quelques années de parcours professionnel et amical dans trois pays du Sud essentiellement : Haïti, Congo RDC et le Sénégal. Vos commentaires sont bienvenus autour de ces textes sans prétention. Juste un partage pour aussi faire découvrir de belles histoires au Sud et des moins drôles. Et n'oubliez pas de cliquer sur "plus d'infos" pour voir la suite de chaque billet !

samedi 16 juin 2012

MAUDITS CRIQUETS !

Voilà encore un malheur pour les paysans ! Au moins, cette fois-ci, ce ne sont pas ceux d'Haïti qui seront touchés ! Enfin, espérons : Lors de la recrudescence acridienne de 1988, des essaims de criquets pèlerin avaient traversé l’Atlantique, de la Mauritanie jusqu’aux Caraïbes, parcourant 5 000 kilomètres en 10 jours.
Ce sont  les ruraux d'Afrique de l'Ouest qui sont touchés, et plus particulièrement ceux du Mali, du Niger et peut-être ceux du Sénégal et du Tchad. Selon l'AFP, 500 000 hectares sont menacés au Niger. Sans compter ceux du Mali.
J'ai connu cette calamité en 2004, plus précisément le 6 octobre jour où mes amis de l'UGPM (Union des groupements paysans de Mekhe, au nord de Thiès au Sénégal) virent leurs plantations attaquées, juste avant les récoltes. Ce fut une véritable catastrophe.
Ceux qui ne l'ont pas vécu ne peuvent imaginer le phénomène. Ceux qui ne vivent pas de l'agriculture ne peuvent ressentir cette détresse de paysans qui voient leurs récoltes disparaître. Deux vidéos, tournées par un de mes amis paysans à cette période, Samba Mbaye, donnent une idée de l'ampleur de ces attaques de criquets. Certes, Samba n'est pas un spécialiste de la caméra. Mais il est là, au front. Désespéré. Paysan qui constate que sa récolte à venir est dévorée par ces sales bestioles.


Dans cette vidéo, les femmes essayaient de se protéger à la première attaque. Puis vint la seconde attaque, massive le 6 octobre 2004. Il n'y a plus rien à faire. Juste constater la gravité de l'invasion. Le champ sera mangé et Samba Mbaye, alias Batch, ne peut que mesurer, avec son fils, les dégâts irréparables.


Lors de l'invasion des années 2003-2005, les pays affectés, en Afrique et au Proche-Orient, ainsi que la communauté internationale, avaient dû dépenser 300 millions de dollars pour faire face à la situation et stopper le phénomène. Treize millions d’hectares avaient été traités. L’invasion des années 1987-89 avait, quant à elle, entraîné 700 millions de dollars de dépenses dans vingt-trois pays. Vingt-six millions d’hectares avaient été traités et 32 000 tonnes d’insecticide épandues. Aucune étude sérieuse n'a, à notre connaissance,  montré les effets négatifs de ces épandages de produits chimiques.


Le coupable est le criquet pèlerin. Voilà ce qu'en dit WIKIPEDIA : "Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) est une espèce de criquet ravageur d'Afrique qui forme régulièrement des essaims dévastateurs. Il fait partie de la catégorie des locustes, comme le criquet migrateur ou le criquet nomadeCes migrations sont déclenchées lorsque la population atteint un certain seuil de densité. Les criquets deviennent grégaires et leur couleur devient plus vive, avant de commencer leur migration. Le criquet pèlerin mange chaque jour son propre poids de verdure : il doit accumuler des réserves de graisses avant de migrer".
La bête se présente comme ceci :
Aujourd'hui, la situation est grave. 
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)  les terrains cultivés au Niger et au Mali se trouvent face à un risque imminent provoqué par les essaims de criquets pèlerins qui se déplacent actuellement en provenance de l’Algérie et de la Libye. Selon la FAO, des groupes de criquets pèlerins ont été récemment recensés dans le nord du Niger, provenant des infestations au nord.

Soyons clairs : pourquoi la situation est très grave, beaucoup plus grave cette année ? 
La Libye a été gravement déstabilisée, principalement par le régime Sarkozy en France pour des enjeux officiels (appui à la démocratie) qui ne correspondent pas nécessairement aux enjeux réels (intérêts pétroliers et autres !). Il s'en est suivi un désordre monumental en Libye, pays détenteur important d'armes. Les armes ont été pillées. Et ont alimenté une rébellion intégriste dans le Nord du Mali. Or, c'est là que se reproduisent entre autres les essaims de criquets. Les cartes ci-dessous, issues du site FAO de surveillance des criquets, méritent attention, en tenant bien compte qu'elles décrivent la situation au début du mois de juin, situation qui peut évoluer de jour en jour.

Etat des menaces selon la FAO, 8 juin 2012
Flux d'essaims et de groupes d'essaims au Niger, FAO, 7 juin 2012
Du fait de la situation de guerre au Nord du Mali, favorisée par la déstabilisation de la Libye, la lutte contre les essaims de criquets en formation, fondamentale pour éviter l'invasion, est impossible. A cela s'ajoute la famine en cours : selon le Programme alimentaire Mondial, plus de 18 millions de personnes sont menacées de famine en Afrique de l'Ouest d'ici la prochaine récolte... qui pourrait être mauvaise du fait des criquets. Et de nouveau une situation dramatique s'installe : MAUVAISE RECOLTE 2011 + CRIQUETS 2012 ==> MAUVAISE RECOLTE 2012.

Lors de l'invasion de 2004, des milliers de tonnes de pesticides chimiques ont été déversées sur le Sahel. A quel coût écologique et humain ? La FAO a écrit pudiquement : "Cependant, l’utilisation des pesticides à grande échelle a également soulevé des préoccupations réelles pour la santé et l’environnement".

De tous temps, les paysannes et les agriculteurs  se sont employés à repousser les bandes et les essaims de criquets en faisant du bruit ou de la fumée, et en ramassant, en enterrant et en brûlant les insectes. Mais sans guère de succès tangible. Les essaims ont toujours réussi à imposer leur loi: celle du nombre. En effet, ils peuvent s’étendre sur des centaines de kilomètres et compter des milliards d’ailés.

Un papayer après le passage des criquets à Meckhe au Sénégal
Ces dernières années, plusieurs recherches ont débouché sur des produits biologiques de lutte contre les criquets.

Le Green Muscle : c'est un un mycopesticide à base d'un champignon entomopathogène, Metarhizium anisopliae var. acridum, obtenu à partir des spores d'un insecte mort. Ce champignon, spécifique à l'espèce des sauteriaux à antennes courtes (Acridoidea: Acrididae etPyrgomorphidae), est largement répandu en Afrique dans les conditions climatiques favorables et peut causer des épidémies locales dans des populations de locustes et de sauteriaux. Les propriétés biologiques et physiques de ce champignon font de lui un candidat idéal pour la lutte biologique augmentative. Les spores du M. anisopliae var. acridum peuvent être facilement produites en masse (source : http://www.lubilosa.org/indexFR.htm). L'absence de risque d'intoxication pour les paysans et les animaux domestiques représente un grand avantage du produit.

Des essais conduits à grande échelle en milieu réel utilisant les mycopesticides contre les criquets ont démontré de façon constante une efficacité similaire à celle des pesticides chimiques, quoiqu'avec une action plus lente. Appliqué à une dose de 50 g/ha, Green Muscle cause généralement des réductions de densité de 80-90% dans des populations libres en 2-3 semaines. L'action plus lente des mycopesticides comparée aux pesticides chimiques favorise leur utilisation dans des zones écologiquement sensibles et pour des opérations de lutte préventive où les criquets sont éloignés des cultures. Deux remarques essentielles doivent donc être faites sur le Green Muscle :
1. C'est un produit à utiliser de préférence dans les zones de pontes, à titre préventif. Contre une attaque des cultures par un vol de criquets pélerins, le Green muscle ne semble d'aucune utilité puisqu'il détruit les criquets en 10 jours : les méchants insectes ont le temps de tout manger avant de mourir !
2. Pour l'instant la production de ce bio pesticide est assurée en Afrique du Sud et au Sénégal. Le reportage sous le lien suivant explique sa fabrication au Sénégal :
Toutefois, il semble que la production du Green muscle soit insuffisante pour apporter une vraie réponse à l'ampleur des calamités. D'autant que le produit a une durée très courte de conservation.

Gora Ndiaye, le fondateur de Jardins d'Afrique au Sénégal, expliquait qu'en 2004, il avait pulvérisé de l'huile de neem sur un champ. Celui-ci n'a pas été attaqué comme les champs voisins. De fait le neem, naturel ou transformé, tue les criquets et agit comme répulsif.
Extrait de la brochure "Alternatives non chimiques pour lutter contre les acridiens"
Le neem est un arbre de taille moyenne qu'on trouve abondamment dans tous les villages du Sahel. Pendant l'hivernage (juillet - août) il produit d'abondantes graines qui peuvent être broyées. Le broyage donnera une poudre ou une huile qui, mélangée avec du savon et pulvérisée sur les plantes, est un excellent pesticide (pas seulement pour les criquets). 

La matière première existe donc abondamment en Afrique de l'Ouest pour lutter contre les criquets. Les organisations internationales devraient prendre conscience que les moyens de lutte locaux, créateurs de revenus pour les ruraux, devraient être appuyés. Les équipements sont simples : moulins, presse à huile, conditionnement. Le tourteau de neem est aussi un sous-produit utile pour lutter contre les termites s'il est mis au pied des arbres. Enfin l'huile de neem, déjà bien développée au Burkina Faso, a plein d'usages reconnus en phytothérapie. Valoriser le neem sert non seulement dans la lutte contre les criquets mais aussi pour bien d'autres usages.

La communauté internationale a favorisé l'organisation de la lutte contre les criquets. De puissants mécanismes de vigilance ont été mis en place notamment avec le projet africain de lutte d'urgence contre les criquets pèlerins (Palcup/Aelp) a permis de redynamiser le système national de surveillance et d'alerte, mais aussi de promouvoir l'utilisation du bio-pesticide, d'améliorer les conditions de stockage des pesticides. Mais la surveillance n'empêche pas les vols d'essaims et la destruction des cultures si des actions ne sont pas prises dès l'apparition des criquets. Voilà pourquoi la situation dans le Nord du Mali est très préoccupante.

Dans l'avenir il faudra encore encourager la recherche paysanne. Le neem n'est pas la seule plante répulsive de l'Afrique de l'Ouest. Et les paysans pourraient faire de nouvelles découvertes.

POUR EN SAVOIR PLUS :
1. Un article scientifique de janvier 2012 intitulé "Activité biologique d’un biopesticide le Green muscle sur le tégument du criquet pèlerin Schistocerca gregaria".
2. Le site de la FAO d'alerte au quotidien :
3. Lutte biologique contre le criquet pélerin :
4. Article de fond sur la lutte contre les criquets
5. Alternatives non chimiques pour lutter contre les acridiens
6. Un dossier très complet et très bien fait avec plein de documents à télécharger :









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