On a beaucoup parlé des "restavek" en Haïti, ces enfants qui, souvent venus de la campagne, travaillent comme employés de maison chez des membres de leur famille qui résident en ville et les exploitent. Le phénomène n'est pas spécifique à Haïti. On le retrouve aussi au Sénégal. Une situation rencontrée m'a inspiré ce poème.
31/3/2008, Bernard Taillefer)
C'est la fille de la sœur,
Cette sœur qui a fait beaucoup d’enfants,
Cette sœur dont le mari est parti
Pour ne plus revenir,
Fatigué de la responsabilité et tiré par son sexe.
Papa parti maman seule sans l’argent du papa
Bouche de trop à nourrir
« Ma fille tu vas aller chez ta tante ».
Moi, la petite bonne,
J’avais pas demandé de naître
J’étais pas là quand ils m’ont fabriqué
Chair manipulée, blessée, déplacée
Si j’avais su
Je ne serai pas venue dans la vie.
Ma tante fut contente de mon arrivée.
Elle a vite exploité l’affaire :
« Va chercher de l’eau,
Trie le riz,
Lave mes habits,
Cire les chaussures de mon fils,
Prépare le thé de la famille,
Va au marché,
Prépare le tieboudiene.
Moi, la petite bonne,
J’avais pas demandé de naître
J’étais pas là quand ils m’ont fabriqué
Chair manipulée, blessée, déplacée
Si j’avais su
Je ne serai pas venue dans la vie.
Ma tante n’est pas riche.
Je suis la bonne qu’elle ne pouvait s’offrir.
Son mari laisse faire. Faut pas contrarier la tante.
Maman est loin,
Je veux pas lui dire
Qu’on refuse de m’envoyer à l’école.
J’ai quinze ans et suis bête,
Bête de ne savoir lire et écrire
Quand est-ce que je serai comme les autres enfants ?
Moi, la petite bonne,
J’avais pas demandé de naître
J’étais pas là quand ils m’ont fabriqué
Chair manipulée, blessée, déplacée
Si j’avais su
Je ne serai pas venue dans la vie.
J’aime bien aller au marché,
C’est mon temps de liberté.
Je rencontre des gens.
J’ai rencontré un homme.
Il m’a conduit chez lui,
Il m’a embrassé,
Il m’a déshabillé,
Il a mis son doigt dans mon jardin secret,
Il a mis plus.
Mon ventre s’est arrondi.
Je n’ai plus revu l’homme.
J’ai pleuré.
Quelqu’un m’a secouru.
J’ai avorté.
Je savais pas comment on faisait les bébés.
Moi, la petite bonne,
J’avais pas demandé de naître
J’étais pas là quand ils m’ont fabriqué
Chair manipulée, blessée, déplacée
Si j’avais su
Je ne serai pas venue dans la vie.
Ils prient, mais pas pour moi.
Ils achètent des cadeaux pour leurs enfants,
Mais pas pour moi.
Pourquoi aimer la grande famille
Qui t’oublie dans les jours de fête ?
Mes cheveux crépus et mes tongues me font honte,
Jamais je ne trouverai de mari.
J’ai pas vu Dakar, J’ai pas vu Saint Louis,
J’ai pas vu la mer.
J’ai vu la cuisine de ma tante et ses fourneaux.
Moi, la petite bonne,
J’avais pas demandé de naître
J’étais pas là quand ils m’ont fabriqué
Chair manipulée, blessée, déplacée
Si j’avais su
Je ne serai pas venue dans la vie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.