J’ai été silencieux sur mon blog ces quelques jours. Mission
oblige. J’étais en République Démocratique du Congo, non pour voter,
mais pour appuyer une ONG locale qui travaille à la transformation des céréales
locales pour améliorer les revenus des ruraux.
Je parle de vote car les élections présidentielles (à un
tour !) et législatives avaient lieu le lundi 28 novembre. Du grand
spectacle ! Mais commençons par le début de ce voyage.
Départ à 6 heures de Villejuif (France, banlieue parisienne) en taxi pour Roissy. Vol sur
Bruxelles puis vol sur Bujumbura. Nuit dans cette capitale du Burundi où j’ai
enseigné à la Faculté de Sciences Economiques pendant quatre ans, il y a bien
longtemps (1980 – 1984). Je dors dans une hôtellerie de sœurs. Sous mes
fenêtres un sanctuaire, où des Burundais viendront prier en masse. Je suis
réveillé par les oiseaux puis par les cloches. Un pays tellement très pieux,
comme le Rwanda, comme le Kivu, comme Haïti. Devant ce sanctuaire je me
dis : « Comment les personnes de ces pays peuvent prier autant et être
autant dans des situations catastrophiques ? Sûrement qu’elles
devraient arrêter de prier !».
La responsable d’une ONG burundaise m’accompagne gentiment à
la frontière entre le Burundi et la RDC. Elle ne peut traverser la frontière.
L’ONG congolaise qui m’invite non plus. Nous franchirons à pied le pont qui
sépare les deux pays, en roulant la valise. Nous avions rendez-vous à 8 heures
du matin.
L’affaire aurait été relativement simple si un policier
congolais, de l’autre côté de la frontière, ne s’en était pas mêlé. Il a arrêté
la voiture de l’ONG qui venait me chercher en disant qu’elle n’avait pas le
certificat de contrôle technique. En réalité, ce contrôle est introduit depuis
peu. Mais depuis janvier, il n’existe pas de formulaire pour ce certificat. Le
titulaire d’un véhicule paye à la banque (cela sécurise contre les
détournements !) mais comme le formulaire n’a jamais été imprimé, il ne
peut y avoir d’imprimé. Pourtant le policier le demande !
La plaisanterie a duré 4 heures jusqu’à ce qu’un général
soit contacté par un de mes hôtes congolais pour faire cesser la stupidité et
nous épargner les 130 US$ qu’il réclamait, ce qui aurait posé problème car mes
hôtes n’avaient pas cet argent et moi je n’avais que des euros, peu prisés dans
la région !
Donc nous roulons la valise, contrôle cool à la frontière
congolaise (quand même avec empreintes digitales). Il faut prendre un taxi
jusqu’à Uvira (+/- 10 km) car le véhicule de l’ONG congolaise est bloqué là-bas.
Encore deux heures d’attente car le militaire en question (tout cela après une
journée d’avion ! ). Je commence le bronzage. Heureusement que j’avais un
bon bouquin et une bonne compagnie puisque la présidente de l’ONG burundaise a
eu la patience d’attendre ces quatre heures avec moi.
La route parcourue |
Campagne électorale : où sont les programmes ? |
Et quatre heures de pistes dans des escarpements en 4X4
Toyota LANDACRUISER. Arrivée à 18 heures à Bukavu, soit 36 heures de voyage. Le long de la route nous croisons les véhicules des militants, les drapeaux des partis. Peu de marchandises à acheter le long de la route. Le manioc commence à faire son apparition et les femmes le sèchent en plein air. Elles ont d'ailleurs tendance à le vendre mal séché. Urgence de trouver de la liquidité oblige ! C'est aussi cela la pauvreté.
Dix jours en République
démocratique du Congo
Mon regard n’est pas celui qui tombe de la dernière pluie
dans ces contrées (même s’il pleuvait beaucoup je n’étais pas arrivé dans les
gouttes !).Haïti, Rwanda, Burundi, Palestine, Sénégal : l’histoire
m’a immergé dans de nombreux pays où j’avais des yeux pour voir, qui restent
innocents (presque). Mais non, je ne sais pas, après trente ans de développement.
Haïti m’a confirmé la farce de l’aide internationale et la force de l’engagement
de nationaux pour la réussite de leur pays. Je retrouve des phénomènes semblables au Kivu. La MONUC, (force des Nations-Unies) est là, massivement. Les Congolais les appellent les inutiles. Même les gamins des rues, petits vendeurs, les raillent :"Ils n'achètent que des choses à un dollar et encore, ils discutent le prix".
Je suis appelé à travailler en conseil à une ONG : le
Comité Anti Bwaki. A l’origine je ne
voulais pas donner son nom. Mais pourquoi cacher des battants, des personnes
qui œuvrent si fort pour leur propre développement ? Leur action touche
53 000 familles au sein de Comités de développement qu’ils ont créés depuis
50 ans dans les différents territoires (entités administratives) de la province
du Sud Kivu.
Leur leader, Patient Bagenda, est écrivain à ses heures,
engagé pour une vraie démocratie et une démarche citoyenne en RDC. A l’occasion des élections 2006, il a
écrit une "lettre à nos élus : des promesses à tenir !". Que de bon sens, que de vérités ! J’en
donne un extrait : « Après
avoir corrompu les électeurs, certains parmi vous se préparent à corrompre les
autres, à tendre leurs longs bras partout pour être nommés gouverneurs de
province, Ministres ou Maires. Ils se voient déjà investis du pouvoir d’arriver
là où ils veulent, de dire et de faire tout ce qu’ils veulent. De toute manière, ils feront tout pour récupérer au
quintuple les fortes sommes investies dans la campagne électorale, car, après
tout, on n’est mieux servi que par soi-même, immunité parlementaire oblige !
D’ailleurs, comment feriez vous autrement étant donné que votre élection, c’est
à votre argent que vous la devez et non à votre projet de société, encore moins
à vos capacités de futur bon dirigeant ! ». Tout le texte est de
la même veine. D’admiration, j’ai scanné son texte et le tiens à disposition de
ceux qui seraient intéressés. Il pourrait aussi servir pour nos propres
campagnes électorales en France !
J’en profite pour revenir sur la campagne électorale. Tous
les habitants du Kivu soutiennent Vital Kamerhe, le numéro 5 (Tano en langue
locale). Le signe de ralliement (la main ouverte montrant les 5 doigts) est brandi
par tous sur toutes les routes. Pas de doute : il est le candidat préféré
dans la région ! Natif du pays, il a aussi bonne réputation. De 2003 à
2004, il fut Ministre
de la Presse et de l’Information du Gouvernement de Transition. De décembre
2006 à mars 2009, il fut Président de l’Assemblée Nationale. A ce titre, il a
posé des actes reconnus par le amis du Kivu qui votent, pas seulement pour
quelqu’un de leur région mais aussi pour quelqu’un de crédible. Ouf ! Cela
est bon à entendre.
Je
ne sais que penser de ces élections. Si on écoute France 24, les élections sont
loin de s’être bien déroulées partout : les médias annoncent des morts,
tout comme Human Rights Watch, dans plusieurs villes, des électeurs qui
trouvent un bureau de vote sans documents ou
qui ne trouvent pas leurs bureaux de vote. Alors que les Congolais
censés disent que la victoire pourrait revenir à Kamerhe ou Tshisekedi, les
médias occidentaux donnent Kabila, le président sortant, vainqueur. Les
premiers dépouillements confirment cette tendance. L’Union Européenne a dépêché
des observateurs. Les Congolais rencontrés doutent tous de l’efficacité du
système et attendent, très dubitatifs, les jugements des « observateurs
internationaux ». A Bukavu, le soir des élections, la ville était calme et le restera jusqu'à mon départ.
Des affiches partout ! |
Les
premières élections libres eurent lieu en 2006. Les Congolais sont heureux de
voter même s’ils savent que le jeu sera sûrement pipé. Au moins ceux qui sont
dans l’opposition espèrent qu’une véritable opposition se mettra petit à petit
en place au Parlement.
La presse à huile du centre de transormation |
Je reviens sur la qualité du travail du « Comité anti
Bwaki », dirigé uniquement par des Congolais avec l’appui de quelques
organisations du Nord (Entraide et Fraternité, Miséréor) et de l’Union
Européenne. Les réalisations sont innombrables pour de faibles moyens :
banques semencières (pour le vivrier et pour le maraîchage), périmètres
maraîchers aménagés, unité de transformation de céréales et de production d’huile
de tournesol, coopératives, fosses fumières, latrines, mutuelles de solidarité
et j’en oublie. Toutes les ONG n’ont pas la même efficience. Pourtant elles
sont nombreuses dans la zone : plus d’une centaine d'ONG internationales ! Certaines se sont
spécialisées dans le pillage des réalisations des autres : on photographie
la pépinière d’une autre ONG et on la vend aux « bailleurs » comme
étant sa propre réalisation. Certaines ONG ont des 4X4 « dernier cri »,
avec télé intérieure pour voir la route à l’arrière quand on recule. Je
découvre au Kivu, dans les ONG, ce fleuron de la technologie… qui doit être
nécessairement entretenu dans les garages des capitales voisines (Bujumbura au
Burundi ou Kigali, au Rwanda !).
Les restaurants chics sont pleins de jeunes Européens et
Américains dont la moyenne d’âge n’atteint pas 30 ans. Un responsable congolais
d’association rigole et me dit : « Qe veux-tu qu’on fasse avec tous
ces louveteaux et jeannettes ? ». Je ris à mon tour, arguant que c’est
positif que des jeunes d’Occident puissent découvrir d’autres cultures mais qu’effectivement
ils sont bien en peine de conseiller les vieux sages du développement que sont
certains de nos amis congolais.
Le Sud Kivu est pauvre, très pauvre. Les mêmes images qu’il
y a 20 ans à la seule différence que tous les Congolais ont des chaussures !
Plus de voitures aussi (mais pas pour tous (!), plus de coupures de courant (un
vrai fléau présent dans un nombre de plus en plus grand de villes africaines).
Mauvais pour l’activité économique et tous les petits métiers du secteur
informel. Un rapport des Nations Unies de 2009 note : En ce qui concerne le Sud Kivu, on peut retenir que les conditions de
vie des ménages y sont très mauvaises avec la pauvreté qui touche plus de huit
ménages sur dix et un taux de chômage urbain plus élevé que la moyenne
nationale. La majorité de la population travaille dans le secteur informel et
particulièrement dans l’agriculture mais les revenus qu’elle en tire sont insignifiants.
La guerre, qui y a sévi, a occasionné beaucoup de pertes en vies humaines,
l’insécurité, des mouvements massifs des populations et la destruction des
infrastructures socio-économiques de base. Cette situation a aggravé la
paupérisation de la population. La quasi-totalité des ménages n’ont pas accès à
l’électricité. L’accès à l’eau potable est limité. Près d’un ménage sur dix n’a
pas de toilettes et les services de voirie sont inexistants.
Cette situation
conduit à une malnutrition et une mortalité infantile élevées et supérieures
aux moyennes nationales. L’accès aux services de santé et d’éducation est
limité, la barrière est plutôt financière que géographique. Le nombre
d’habitants par médecin est environ 3 fois plus bas que celui des normes internationales.
Enfin, d’importants progrès devraient être réalisés pour aller vers l’égalité
des chances entre hommes et femmes, condition nécessaire pour combattre la pauvreté,
notamment dans le domaine du marché de travail et l’éducation.
La province dispose de
beaucoup de potentialités mais leur exploitation est soumise à des contraintes
de divers ordres. […]. En ce qui concerne les mines : l’étain, le wolframite, le
monazite, le diamant, l’or, le colombo
tantalite (coltan), le calcaire, le gaz méthane, les eaux thermales et la
cassitérite sont exploités actuellement surtout de façon artisanale mais aussi
par quelques entreprises modernes (SOMINKI, CIMENKI, …). Ce secteur connaît une
fraude massive de la part d’exploitants d’origines diverses. (sic !). On
notera les nombreux euphémismes de ce rapport qui n’ose pas dire que les
ressources minières sont exploitées par des entreprises étrangères qui chassent
les paysans de leurs terres et les relogent dans des boîtes à savon de 4x4
mètres comme nous disait un responsable d’association. Les chiffres issus de cette contradiction flagrante parlent d'eux-mêmes.
Paru dans l'étude PNUD 2009 sur le Sud Kivu |
Tout est disponible au Sud Kivu pour de la création de
richesses, sauf la terre… et la volonté politique. Au moins, en ce moment il y
a une paix apparente, bien que, de l’avis de nos amis congolais, certaines zones
ne sont pas sûres dans la province.
Sur le chemin du retour
En attendant, Bukavu patauge dans la boue. Il a plu beaucoup
la nuit de notre départ. La vieille 4X4 Landcruiser du Comité Bwaki a bien
assuré sur les routes glissantes, son chauffeur aussi. On pouvait d’ailleurs difficilement parler de
routes puisque celles-ci étaient bloquées par des camions en travers !
Alors nous avons contourné par des petits chemins tortueux et ravinés. Puis
quatre heures de pistes dans les escarpements. Mieux vaut avoir une colonne
vertébrale en bon état.
Contrôle facile et sans complications à la frontière
congolaise. Sympa aussi à la frontière burundaise. Avec juste une petite
complication : l’ambassade du Burundi à Paris ne délivre des visas qu’à
une entrée. J’avais besoin de deux entrées (une à l’aéroport, et l’autre au
retour du Kivu) et je l’avais précisé lors de la demande à l’ambassade parisienne. La
réponse fut qu’ils ne délivrent pas deux entrées, mais qu’à la frontière je n’aurai
qu’à payer un supplément de 5 euros pour régulariser. En fait, il m’a été
demandé de payer un visa de transit de 40 US$ ! J’avais un billet de 50 US
$, refusé car il datait de 2001 et quelqu’un avait écrit sur le billet ! J’ai
présenté mes euros mais ils n’étaient pas bienvenus. On dut donc trouver un
changeur qui n’a pas tant de dollars que cela pour prendre mes euros : on fait
un savant mélange entre US dollars et Francs burundais et l’affaire est
conclue. Ce billet de 50 US $, refusé aussi à Bukavu, me brûlait les doigts. Je l'ai vite changé à la gare de l'Est à Paris, sans problème !
La faculté de Sciences économiques |
J’ai quitté Bukavu le mercredi matin à 8h00. J’ai mis les
pieds dans mon appartement de Villejuif le lendemain à 14 heures. Trente heures
de voyages et un retour gonflé à bloc car des amis congolais m’ont donné des
leçons de vie. « C'est nos vies ! » comme disait un ancien ami !
OULALA. comme disent les français. t'as bien fait de décrire les conditions de voyages, les heures d'attente, les douanes etc. Les gens qui ne voyagent qu'en organisés ne savent rien de ça.
RépondreSupprimeraussi les ONG qui dépensent leur fric à des conneries et pas pour le vrai but.
je ne sais rien de la RDC, je viens d'apprendre quelques petites choses.
dans mon coin (quartier "chaud" chateauroux) un Congolais est actif pour l'assoc locale et vante le Congo tant qu'il peut, mais les voyages qu'il propose ne me tente pas du tout les prix sont pour ceux qui veulent le confort occidental.
… tes collègues seraient morts du sida ?
les stats que tu donnes sont désolantes.
les Chinois qui "envahissent" l'Afrique sont présents je suppose.
je suis amatrice de la profession de foi du candidat… pour le publier sur mon blog.
sur la religion : ils n'ont pas encore remarqué que ça n'apporte aucun miracle ?
Ah Annie que tu dégaines vite ! A peine le petit pain sorti du blog que tu l'as déjà croqué ! Quel plaisir pour l'auteur.
RépondreSupprimerTon ami congolais est de quelle région. Ce pays est un vrai continent et les disparités régionales sont fortes avec un dénominateur commun : richesses en sous-sol et pauvreté en surface. Les Chinois y sont effectivement bien présents et ratissent large que ce soit en matière de terres ou de minerais. Bradage à tour de bras. On m'a parlé d'une tranche de 300 000 hectares pour une bouchée de pain.
Je t'envoie prochainement la profession de foi.
"Départs" des collègues de la fac ? Dans ces pays les gens parlent aussi par euphémisme. Le palu est souvent l'explication "sortable". On ne peut poser des questions plus précises. Mais il est vrai que le SIDA a fait des ravages dans les grands lacs. Là encore bien des gens se battent pour changer la situation. Le SIDA est aussi un effet indirect des politiques débiles des Eglises, omniprésentes.
Quand aux ONG nous sommes contraints de garder notre lucidité et ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain malgré des révoltes légitimes. Il y a le meilleur et le pire comme le montre l'article. Mais il est vrai que le pire est odieux. Un ami de Haïti vient de me dire qu'il retrouve dans mon article bien des caractéristiques de son pays en la matière.
Merci de nous faire profiter de ce voyage plein de péripéties.
RépondreSupprimerTant de richesses, tant d'exploitation et tant de misères, cela est bien triste. Les africains ont toujours été spoliés.....
Une amie de suisse est allée au Kénya cet été, dans le but d'aider à monter une école dans les bidonvilles de Nairobi, mais elle a couché à même le sol, comme les habitants. Les premiers jours furent dures, mais elle n'a pas voulu les hôtels et restaurants chics ; je ne l'en ai que plus appréciée.
Chantal.
Merci Chantal de ce témoignage.
RépondreSupprimerBukavu a autour de son lac de superbe paysage, nous avons aussi un projet commencé depuis quelques années pour les hôpitaux, beau récit de voyage et périples , bonjour belge
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