Peut-on s’attendre à ce que les organisations paysannes produisent de meilleurs instruments financiers ? Je l’ai cru longtemps, comme j’ai cru longtemps que les mouvements de libération allaient changer la face de l’Afrique. Aujourd’hui, j’ai appris à faire des distinguos au sein des organisations de producteurs. Les nuances que j’apporte à ma perception viennent de plusieurs horizons, à la fois politique, culturel, financier et technique.
HORIZON POLITIQUE
Etre leader paysan est un véritable ascenseur pour certains leaders. Il faut une grande force morale pour ne pas se laisser attirer par les voyages (et les per diem qui vont avec), garder un contact étroit avec la base, ne pas vouloir cumuler les mandats, négocier avec le pouvoir sans se faire acheter. Je connais beaucoup de paysans qui ont cette force. D’autres, encore plus nombreux, lâchent vite prise. La tendance reste actuelle. Les paysans dirigeants des organisations de producteurs, aussi bien que les politiciens, savent construire un pouvoir, le garder et en tirer tout ce qui peut l’être.
Paysan et son fils cultivant dans la forêt de rôniers près de Djilor |
HORIZON CULTUREL
Un leader paysan n’émerge pas par hasard. Il est d’abord quelqu’un dans sa zone, soit par la lignée, soit par l’âge, soit par la religion etc. Il n’est pas d’abord leader parce qu’il a fait les bons choix politiques. Il est leader parce qu’il est quelqu’un selon des critères qui ne sont pas directement liés à la défense des paysans. Du fait de l’origine culturelle et des raisons de la promotion au sein du mouvement paysan, le leader n’a pas obligation de rendre compte. L’information circule rarement entre les leaders et la base. Cela peut arriver, mais c’est rare.
HORIZON FINANCIER
Le système d’aide n’est pas sans effet sur les leaders paysans. Ils ont su défendre leurs intérêts dès qu’ils ont connu les per diem et les honoraires que touchaient les consultants et autres acteurs du système d’aide. Il est des leaders paysans d’un réseau régional qui reçoivent des 50 ou 60 000 FCFA par jour, tandis que les jeunes de l’hôtellerie reçoivent la même chose pendant un mois. C’est le tarif de per diem pour un consultant international. Il y a donc apparemment justice. Sauf que le consultant international n’a pas de famille pour loger et que son organisme n’est pas habitué à manger de la même manière. Pour le consultant, le per diem correspond à une dépense. Pour le leader paysan, c’est une source de revenus qu’on ne veut surtout pas lâcher.
HORIZON TECHNIQUE DE LA FINANCE
Il faut reconnaître que les paysans veulent souvent créer leurs outils financiers. Comme les caisses d’épargne et de crédit sont à la mode (vieille mode), ils pensent d’abord à cet outil mais ont peur de ne pas être en règle avec la législation. Alors ils font appel à des « spécialistes » qui connaissent bien la législation et pas du tout la vie des paysans. Les paysans se retrouvent alors avec des outils financiers très « normés », très classiques. Ils sont propriétaires d’outils qui les trahissent.
Ma plus grande surprise fut de voir que dans une caisse d’épargne et de crédit dirigée par des pêcheurs, cette dernière offrait des crédits à 21% par mois sur 2 ans pour acheter des moteurs de pirogues à 1,1 MFCFA avec remboursement mensuel. Tout le monde sait normalement que la pêche est saisonnière, qu’un remboursement en deux ans est trop court et que le taux d’intérêt est exorbitant. Mais la caisse est dirigée par des pêcheurs qui ont fait confiance à des consultants externes qui leur ont dit qu’ils devaient accepter les règles de la banque universelle.
CONCLUSION
On peut s’interroger sur l’origine des systèmes de financement de proximité (SFP). Ceux créés par les paysans ne sont pas meilleurs que les autres pour toutes les raisons évoquées précédemment. La propriété du SFP n’est pas un gage de qualité pour des produits financiers au service des ruraux. Alors on fait quoi ? On en parle plus tard dans le blog.
Pas meilleurs, mais pas pire et au moins les paysans décident par eux-mêmes de l'usage de leur argent.
RépondreSupprimerIl me semble que les militants confondent souvent : "Paysans" = "Développement". Mais pourquoi être plus sévères avec les paysans qu'avec les autres, les ONGs, les sociétés anonymes, les SMECS ? Je connais au moins deux IMF qui ont été créées et appartiennent aux paysans, au Burkina, l'UBTEC et CREDIFLORIDA au Pérou... Eh bien, les dangers signalés dans le message intitulé 'Microfinance et Paysans' ont été mis sur la table et traités ... par les paysans eux-mêmes, aujourd'hui pas peu fiers de disposer de leur propre instrument financier !
Merci Dominique de ces exemples que tu donnes et je partage ton analyse. Il est vrai que dans ces caisses "dirigées" par les paysans, l'accumulation peut servir la communauté locale.On rappellera dans un prochain billet que les mutuelles de solidarité sont des outils souvent très appropriés avec des produits financiers qui correspondent aux propriétaires des outils financiers.
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