Message 4
Port-au-Prince, Paris
La maison où vivait Chloé, ma fille, pendant le tremblement de terre |
La campagne électorale est lancée. Campagne silencieuse dit-on : les affiches fleurissent. Au mètre carré affiché, Jude Célestin, le soi-disant poulain de Préval arrive en tête. Ne cherchons pas le programme politique sur ses affiches, ni même le slogan mobilisateur : juste « INITE ».
Dans l’avion de retour je lis le Novelliste, journal local (un peu l’équivalent du Monde Chez nous). Le Novelliste écrit sous le titre « Les USA s’engagent mais ne délivrent pas » : « Près de 9 mois après le séisme dévastateur du 12 janvier, plus d’un million d’Haïtiens vivent toujours dans la rue au milieu des piles de déblais. ET à ce jour pas un seul dollar sur le 1,15 milliard (845 millions d’euros promis par les Etats Unis pour l’aide à la reconstruction d’Haïti n’a été versé » ont écrit les journalistes Jonathan M. Katz et Martha Mendoza de l’Associated Press ». De source bien informée, la France ne fait pas mieux. Beaucoup de promesses, peu de déblocages.
Les pluies continuent. Encore des morts. Que des pluies, je dis ! Pas des cyclones. La vulnérabilité est grande. Insupportable.
Je rencontre le directeur d’ENERSA, un ingénieur haïtien qui mise sur le solaire. Que du bonheur d’entendre cet entrepreneur qui en Haïti fabrique des panneaux solaires et des lampes LED à partir de composants importés. Son gros marché actuel est la vente de lampadaires solaires pour les camps de tentes : « il y a tellement d’insécurité, de viols. Les ONG payent. Le directeur d’ENERSA est intéressé par le fonds rural monté par le KNFP. Homme de développement. Je cherche à l’inviter au Sénégal pour qu’il puisse y transférer son savoir-faire. Coopération Sud-Sud. Il viendra au Sénégal, il a envie.
C’est mon quatrième et dernier message à l’issue de cette mission. Une question fondamentale se pose pour nous, acteurs de développement et solidaires de Haïti : La population dans son ensemble est dans une situation indescriptible, infra humaine. D’un côté, sur Internet beaucoup de gens s’agitent pour dire « On fait ceci et cela ». Misère et pauvreté sont fonds de commerce de beaucoup d’ONG humanitaires alors que les vies à ne pas vivre ne changent pas. Les gouvernants jouent avec les messages de pub mais l’argent ne vient pas.
D’un autre côté des organisations ou des entreprises haïtiennes (ne pas opposer les deux) réalisent un travail de fond. Le KNFP laboure et laboure encore pour créer un fonds rural, le FRICS (Fonds Rural d’investissement et de Crédit Solidaire). Nos amis haïtiens serrent les dents pour ne pas fuir à l’étranger, familles écartelées. Communiquent beaucoup sur un plan national (le KNFP a fait un tabac à un colloque récent sur la micro finance [surréaliste par les temps qui courent ?] tant il disait des choses vraies, libératrices parce que rejoignant tout ce que pense les Haïtiens : « Non, des taux d’intérêt élevés ne sont pas compatibles avec la réalité rurale. Oui, l’agriculture peut être financée ». Mais le KNFP communique peu à l’international.
Nous tous qui en sommes les acteurs de l’international, ne devons nous pas passer des messages sur l’indicible qui se vit en Haïti ? Dominique Lesaffre joue à merveille ce rôle sur la Palestine, autre situation indicible. Deux communautés bafouées : la Palestine au niveau de la reconnaissance des droits humains des Palestiniens ; Haïti au niveau du simple respect de la vie humaine. Un million de personnes dans des tentes, cela ne choque plus ? Vous imaginez 9 mois de vacances sous tente ? Sans le confort du campeur lambda en France ?
Tous sont unanimes : il y a bidonvilisation des camps, les tôles, les morceaux de carton apparaissent. « Ils » s’installent avec un niveau d’espoir zéro.
Nous ne pouvons nous taire. KNFP ne peut pas se taire : sinon où est l’économie solidaire que nous prônons ? Certes le rural nous tient à cœur. Et y a beaucoup à y faire. Mais ces camps de la honte en pleine capitale ? Ne devons nous pas revoir notre copie ?
J’interpelle car je ne peux faire autre chose (trop petite personne). On peut susurrer le rural. J’étais un des premiers dans cette voie. Mais ces places publiques occupées de tentes, petit à petit transformées en bidonvilles car les « habitants » savent qu’ils n’ont aucun autre choix, cela perturbe, invite à revoir notre copie. D’accord ces gens sont victimes de politiques qui les ont poussés à quitter le milieu rural. Il fallait leur donner les moyens de cultiver. Cela n’a pas été fait. Nous avons des camps de personnes en détresse. Sans avenir. Les élections ne changeront rien. Les organisations internationales ont intérêt à ce que ces camps durent. « Business Development ».
Je ne peux comprendre que huit mois après le tremblement de terre je retrouve les mêmes camps. Je n’ose même pas y entrer. Je n’y prendrai pas de photos (encore que…, pour témoigner).
Nous faisons donc quoi ? La communauté internationale a menti sur les aides. Il n’y a objectivement aucune perspective pour ces gens des camps. Pas de pilote à bord. L’Etat est impuissant, vidé de ses cadres capables. La communauté internationale est enferrée dans des bureaucraties qui n’ont jamais mis les pieds dans les camps. Les ONG font perdurer les situations. KNFP a d’autres mandats et d’autres chats à fouetter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.