Le Secours catholique publie une interview intéressante de Mohamed Yunus. A part l'erreur classique de désigner Yunus comme fondateur du Micro crédit (C'est Raiffeisen à la fin du 19ème siècle) ses propos sont intéressants, comme critique de la micro finance et comme force de proposition pour le social business.
Crédit : KYODO/MAXPPP |
Quelle est l’importance pour le monde de ce que vous appelez le
social-business ?
L’économie sociale ne représente aujourd’hui qu’une infime
part de l’économie mondiale. Imaginer
une économie déconnectée du profit fait peur car le monde reste aveuglé par la
cupidité. Or cette conception de l’homme, représentée par le modèle
économique actuel, est étriquée et ne rend pas compte de sa dimension
altruiste. Avec le social-business, je démontre qu’il est possible de faire des
affaires tout en agissant sur un problème de société. Prenez l’exemple de
Grameen Danone qui produit des yaourts enrichis à un prix abordable pour les
familles pauvres du Bangladesh dans le but de lutter contre la malnutrition.
Est-ce pour autant que cette entreprise française a perdu la tête ? Je ne
crois pas.
Quelle est la différence entre entrepreneuriat social et
social-business ?
L’entrepreneuriat social est un mot très populaire, souvent
confondu avec le social-business. Il recherche le profit tout en répondant à un
problème social. Or le principe fondateur du social-business repose sur
l’absence totale de dividendes. Un investisseur peut récupérer la somme qu’il a
investie dans une entreprise sociale, mais pas plus. Autre exemple : la
Grameen Bank est certes une entreprise à but lucratif, mais elle appartient aux
personnes pauvres, qui réinvestissent les bénéfices. C’est donc un
social-business.
Y a-t-il des limites au social-business ?
Non, aucune. Cette économie possède un potentiel énorme
compte tenu du nombre de pauvres. Imaginez le nombre d’entreprises sociales que
nous pourrions créer rien que pour permettre l’accès de chaque foyer à
l’énergie ! Des sociétés seraient créées pour distribuer à prix abordable
des panneaux solaires à chaque famille. Leur objectif ne serait pas de faire du
profit mais de protéger la planète. J’ai créé en Haïti un fonds pour le social-business. Au lieu
d’attendre que les institutions internationales reconstruisent le pays,
j’encourage les Haïtiens à créer des entreprises sociales afin de relever leur
économie nationale. Par ailleurs, le social-business ne se limite pas aux pays
pauvres, il peut également se développer dans les pays riches, comme aux
États-Unis, pour améliorer l’accès à la santé, par exemple. Il n’y a pas
d’obstacle au développement du social-business car la créativité humaine n’a
pas de limite.
Le social-business doit-il remplacer les associations
caritatives ?
Non. Les associations sont indispensables pour répondre aux
problèmes d’urgence, comme les catastrophes naturelles, les déplacements de
populations. Toutefois je pense qu’au lieu d’attribuer des sommes considérables
au développement des pays pauvres, il suffirait de consacrer 10 % de ces
montants à la création d’un fonds pour le social-business. Je suis convaincu
qu’avec ces 10 % on pourrait créer des entreprises sociales bien plus
efficaces pour lutter contre la pauvreté. À une condition toutefois : que ces
entreprises sociales soient créées sous l’impulsion des citoyens, sans que
les gouvernements s’en mêlent. L’année suivante, on réitère l’opération
avec la même somme pour aider à créer de nouvelles entreprises. Il s’agit tout
bonnement de planter une graine, et de l’aider à grandir et à se multiplier. Le
monde doit simplement réussir à sortir de la logique du profit.
Cette notion de profit a pourtant gangrené le microcrédit en
Inde…
Il
s’agit d’une dérive du microcrédit. Lorsqu’une institution de microfinance fait
des prêts à des taux supérieurs à 15 %, on ne peut plus parler de
microcrédit. Par ailleurs, les organismes qui entrent en bourse affichent une
volonté de faire du profit et s’écartent des principes fondateurs du
microcrédit.
Comment prévenir ce genre de dérive ?
Il faut
imposer des limites aux taux d’intérêt à ne pas dépasser. Par ailleurs,
chaque pays devrait créer une autorité de régulation du microcrédit, comme
c’est le cas au Bangladesh depuis cinq ans. Cette autorité délivre une
licence aux institutions de microfinance. Elle supervise leurs taux d’intérêt
et permet une plus grande transparence. J’ai développé le microcrédit afin de
permettre aux pauvres d’améliorer leurs conditions de vie. Je souhaite que cela
continue.
Propos recueillis par Clémence Richard
(1) Pour une économie plus humaine, Éd. JC Lattès, 305
p., 20 euros.
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