ISBN : 978-2-7087-0797-9 |
Mamadou Cissokho, leader charismatique du mouvement paysan ouest africain, a donc écrit après plus de trente ans d'engagement au service de la cause paysanne. Un tout grand homme. Je dois avouer que c'est lui qui m'a formé et m'a fait découvrir le Sénégal et le monde rural depuis 1994. Mamadou savait que j'avais été directeur des Banques Populaires du Rwanda. Il me fait venir pour mon expérience en finances. Mais me précise le mandat : "Tu ne connais pas le Sénégal donc tu vas faire le tour des groupements dans le pays pour connaître leurs activités en matière de cotisations et de prêts. Ensuite tu vas te rappeler qu'au Rwanda, tu installais des coffres-forts à la campagne. Mais nous avons 13 000 villages et nous n'avons pas les moyens de nous payer 13 000 coffre-forts. Alors trouve autre chose". Avec des amis sénégalais, j'ai trouvé cette autre manière de financer qui s'appelle les mutuelles de solidarité. L'idée a été reprise un peu partout dans le monde, notamment en Haïti, grâce à l'action du KNFP et de ses membres.
Plus tard Cissokho et moi avons parlé dans mon jardin à Meaux. Il me dit deux phrases mémorables : "Bernard, toi et moi, nous nous battons depuis 30 ans pour le développement. Et la pauvreté augmente : où est le bug ?" Et puis : "Il ne faut pas seulement sensibiliser et former les ruraux. Ce qu'il faut, c'est aider les paysans à transformer et commercialiser leurs produits". Alors croyant avoir l'appui de la SIDI et des organisations locales de Mbour, je me suis lancé dans cette aventure qui n'a pas marché. Mon erreur ? Ne pas avoir suffisamment associé Cissokho à la démarche.
Ensemble nous sommes allés en Haïti pour parler aux paysans mais aussi aux gens qui préparait le DSRP ( Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté). Mamadou a eu droit à une standing ovation ! Depuis, je le vois moins et le regrette. Mais nous retrouverons. Fortement.
Le charisme de Mamadou, on le sent dans cette vidéo amateur tournée alors que nous faisions ensemble une formation des jeunes sur l'exploitation familiale au sein de l'UGPM de Meckhe (une belle organisation paysanne!). Mamadou trouve l'occasion de me "ramasser" gentiment ! Je ne peux que l'écouter.
Ensemble nous sommes allés en Haïti pour parler aux paysans mais aussi aux gens qui préparait le DSRP ( Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté). Mamadou a eu droit à une standing ovation ! Depuis, je le vois moins et le regrette. Mais nous retrouverons. Fortement.
Le charisme de Mamadou, on le sent dans cette vidéo amateur tournée alors que nous faisions ensemble une formation des jeunes sur l'exploitation familiale au sein de l'UGPM de Meckhe (une belle organisation paysanne!). Mamadou trouve l'occasion de me "ramasser" gentiment ! Je ne peux que l'écouter.
LE LIVRE DE MAMADOU
Il a longuement préparé ce livre avec son ami Bernard Lecomte, un vrai homme de développement ! En 1974, Mamadou Cissokho a laissé sa craie de jeune instituteur pour devenir paysan au sein d'une exploitation familiale qu'il créa à l'Est du Sénégal. Depuis lors il est la cheville ouvrière du mouvement paysan sénégalais. Il a créé les Ententes, puis la FONGS (Fédération des ONG du Sénégal - mais en fait une fédération d'organisations paysannes), puis le CNCR (Conseil National de Coopération et de Concertation des Ruraux), puis le ROPPA (Réseau des Organisations paysannes et des Producteurs de l'Afrique de l'Ouest) qui couvre toute l'Afrique de l'Ouest.
Le livre est préfacé par Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal et aujourd'hui Secrétaire Général de la Francophonie. Abdou Diouf écrit : "Dieu n'est pas un paysan, certes, mais, aujourd'hui, il a peut-être fait prendre conscience à nos paysans d'Afrique de la chance qui s'offre à eux. Le ROPPA, avec le soutien de sa base doit persévérer. L'effort des paysans finira par payer. La crise mondiale a déclenché leur retour au centre de l'économie. A ce titre, ce témoignage vibrant, engagé, est particulièrement précieux. Il traduit une expérience originale, d'une actualité cruciale, où s'allient la foi dans les hommes et le réalisme de nouveaux entrepreneurs paysans qui nous interpellent".
Le premier chapitre du livre démarre fort. Mamadou raconte la rencontre du 13 février 1997 au Palais de la présidence... avec Abdou Diouf. Rencontre historique, rupture, dira-t-il. Occasion pour le mouvement paysan de passer des messages forts, notamment celui-ci :
"Les paysans ne comprennent pas qu'on parle toujours de produits, de productivité, de marchés et de crédits mais jamais de celles et de ceux qui sont à l'origine". On trouvera les autres messages dans le livre. Puis Mamadou fait la relecture de l'histoire depuis l'indépendance jusqu'à aujourd'hui entre la paysannerie et l'Etat.
Il revient ensuite sur son expérience à Bamba Thialène, dans l'est du pays, ce village qui l'a accueilli, lui, le Malien d'origine. Ce village fut un vrai creuset pour sa pensée. Il rappelle la réflexion sur la soudure et la gestion des ressources menées avec ses amis du village. Naît alors un comité d'action du village s'appuyant sur une profession de foi rédigée en commun. Mamadou raconte ensuite la naissance de l'entente, association des villages de Koupentoum dont Bamba Thialène, puis la naissance d'autres ententes dans d'autres villages et de groupements d'intérêts économiques. L'entente, association qui, sans aide extérieure, travaillait à son autonomie et pour la sécurité alimentaire.
Il y eut aussi l'expérience de Carrefour en 1988, une association paysanne en charge de la commercialisation de produits agricoles du Sénégal, du Mali, de Guinée Bissau et de Gambie. Mais cette expérience n'a pu réussir pour des raisons que Mamadou explique brièvement.
Dès 1978, Mamadou découvre avec ses amis qu'en d'autres lieux du Sénégal d'autres paysans s'organisent et naît la FONGS. L'entente de Koumpentoum adhère à la FONGS mais ne s'y retrouve pas complètement car la FONGS était un peu un melting-pot sans une vision structurée. Mamadou raconte alors les difficultés rencontrées pour mettre des objectifs clairs au sein de la FONGS et bien gérer la relation avec des partenaires extérieurs.
En 1989, la FONGS prend langue avec la FAO qui décide d'étudier, avec des membres de la FONGS, la politique agricole du Sénégal et la situation des paysans. La relation débouche en février 1993 sur un forum sur le thème "quel avenir pour le paysan sénégalais ?". Ce forum sera suivi d'un important travail à la base qui débouchera, en mars 1993 sur la naissance du CNCR. Etape importante qui rassemblera dans l'action commune des pêcheurs, des paysans, des forestiers, des horticulteurs etc. et qui dès lors, influera sur la politique agricole nationale. Mamadou raconte avec brio les difficultés rencontrées dans cette période.
Pour en savoir plus sur la FONGS : http://www.fongs.sn/
La tête de Mamadou tourne à 100 à l'heure avec un réalisme permanent. Il a vite compris que l'ensemble des paysans de l'Afrique de l'Ouest, globalement, sont confrontés aux mêmes problèmes au sein de structures administratives nationales mais aussi régionales (L'UEMOA, la CEDEAO). Aussi, très vite, Mamadou et ses collaborateurs n'ont de cesse de créer une organisation paysanne sous-régionale, le ROPPA (Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l'Afrique de l'Ouest. J'étais à la fondation de ce réseau en 2000. Quel grand moment, aboutissement de l’opiniâtreté de Mamadou pour faire avancer le mouvement paysan. Ne recherchant pas les titres, il ne s'est pas présenté comme Président du ROPPA. Mais, en toute logique, ses pairs l'ont nommé Président d'honneur. Ce fut Ndiogou Fall qui fut Président du ROPPA de 2000 à 2010, compagnon de route de Mamadou Cissokho dès l'époque de la FONGS. Ce fut une grande tristesse pour tous, pour Mamadou et pour moi lorsque fut appris le décès de Ndiogou Fall en mai 2011.
Une fois posées les bases du mouvement paysan ouest africain, Mamadou Cissokho et son équipe n'auront de cesse de lui donner une vision centrée sur le devenir de l'exploitation familiale et sur la sécurité / souveraineté alimentaire.
Dans la suite de son ouvrage Mamadou Cissokho développe autour des trois grands objectifs du ROPPA :
1. Promouvoir les dialogues et la concertation entre toutes les parties concernées par le développement rural ;
2. Construire la sous région d'Afrique de l'Ouest ;
3. Assurer la souveraineté alimentaire par nos exploitations familiales.
A chaque fois, Mamadou prend soin de reprendre l'histoire des faits et des débats depuis la colonisation. Et ne parle pas la langue de bois ! Il explique les difficultés du mouvement paysan avec l'Etat mais aussi avec la Banque mondiale ou d'autres coopérations bilatérales. Quand aux accords APE avec l'Europe, il se bat pour que ces accords ne soient pas signés eux qui veulent ouvrir les frontières africaines aux produits alimentaires de l'Europe.
Dans le dernier chapitre "pour comprendre nos propres vies, revenons à nos racines" Mamadou Cissokho explique plus en détail le cheminement de sa réflexion tout au long de sa vie militante. Ce chapitre est particulièrement intéressant.
Dans sa conclusion le livre donne trois priorités : 1. reconstituer et valoriser les ressources naturelles "qui ont été excessivement sollicitées"; 2. développer et sécuriser les ressources humaines par la protection et la création d'emplois ruraux rémunérateurs et producteurs de richesses et d'espérance. 3. Assainir et reconstruire le politique car depuis les indépendances, "nous avons largement oublié la justice sociale et le dialogue". En final, Mamadou suggère de promouvoir ensemble un projet de société, de "refonder l'Etat".
Une idée qui pourrait bien avoir écho chez tous les indignés d'Europe et chez tous ceux qui appellent de leurs voeux des changements de société. Comme quoi on peut aussi apprendre d'un paysan africain. On le savait mais cela va mieux en le disant ! A lire absolument !!!
Le livre est préfacé par Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal et aujourd'hui Secrétaire Général de la Francophonie. Abdou Diouf écrit : "Dieu n'est pas un paysan, certes, mais, aujourd'hui, il a peut-être fait prendre conscience à nos paysans d'Afrique de la chance qui s'offre à eux. Le ROPPA, avec le soutien de sa base doit persévérer. L'effort des paysans finira par payer. La crise mondiale a déclenché leur retour au centre de l'économie. A ce titre, ce témoignage vibrant, engagé, est particulièrement précieux. Il traduit une expérience originale, d'une actualité cruciale, où s'allient la foi dans les hommes et le réalisme de nouveaux entrepreneurs paysans qui nous interpellent".
Le premier chapitre du livre démarre fort. Mamadou raconte la rencontre du 13 février 1997 au Palais de la présidence... avec Abdou Diouf. Rencontre historique, rupture, dira-t-il. Occasion pour le mouvement paysan de passer des messages forts, notamment celui-ci :
"Les paysans ne comprennent pas qu'on parle toujours de produits, de productivité, de marchés et de crédits mais jamais de celles et de ceux qui sont à l'origine". On trouvera les autres messages dans le livre. Puis Mamadou fait la relecture de l'histoire depuis l'indépendance jusqu'à aujourd'hui entre la paysannerie et l'Etat.
Il revient ensuite sur son expérience à Bamba Thialène, dans l'est du pays, ce village qui l'a accueilli, lui, le Malien d'origine. Ce village fut un vrai creuset pour sa pensée. Il rappelle la réflexion sur la soudure et la gestion des ressources menées avec ses amis du village. Naît alors un comité d'action du village s'appuyant sur une profession de foi rédigée en commun. Mamadou raconte ensuite la naissance de l'entente, association des villages de Koupentoum dont Bamba Thialène, puis la naissance d'autres ententes dans d'autres villages et de groupements d'intérêts économiques. L'entente, association qui, sans aide extérieure, travaillait à son autonomie et pour la sécurité alimentaire.
Il y eut aussi l'expérience de Carrefour en 1988, une association paysanne en charge de la commercialisation de produits agricoles du Sénégal, du Mali, de Guinée Bissau et de Gambie. Mais cette expérience n'a pu réussir pour des raisons que Mamadou explique brièvement.
Le siège de la FONGS à Thiès |
En 1989, la FONGS prend langue avec la FAO qui décide d'étudier, avec des membres de la FONGS, la politique agricole du Sénégal et la situation des paysans. La relation débouche en février 1993 sur un forum sur le thème "quel avenir pour le paysan sénégalais ?". Ce forum sera suivi d'un important travail à la base qui débouchera, en mars 1993 sur la naissance du CNCR. Etape importante qui rassemblera dans l'action commune des pêcheurs, des paysans, des forestiers, des horticulteurs etc. et qui dès lors, influera sur la politique agricole nationale. Mamadou raconte avec brio les difficultés rencontrées dans cette période.
Pour en savoir plus sur la FONGS : http://www.fongs.sn/
La tête de Mamadou tourne à 100 à l'heure avec un réalisme permanent. Il a vite compris que l'ensemble des paysans de l'Afrique de l'Ouest, globalement, sont confrontés aux mêmes problèmes au sein de structures administratives nationales mais aussi régionales (L'UEMOA, la CEDEAO). Aussi, très vite, Mamadou et ses collaborateurs n'ont de cesse de créer une organisation paysanne sous-régionale, le ROPPA (Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l'Afrique de l'Ouest. J'étais à la fondation de ce réseau en 2000. Quel grand moment, aboutissement de l’opiniâtreté de Mamadou pour faire avancer le mouvement paysan. Ne recherchant pas les titres, il ne s'est pas présenté comme Président du ROPPA. Mais, en toute logique, ses pairs l'ont nommé Président d'honneur. Ce fut Ndiogou Fall qui fut Président du ROPPA de 2000 à 2010, compagnon de route de Mamadou Cissokho dès l'époque de la FONGS. Ce fut une grande tristesse pour tous, pour Mamadou et pour moi lorsque fut appris le décès de Ndiogou Fall en mai 2011.
Ndiogou Fall, ancien président du ROPPA et compagnon de route de Mamadou Cissokho |
Dans la suite de son ouvrage Mamadou Cissokho développe autour des trois grands objectifs du ROPPA :
1. Promouvoir les dialogues et la concertation entre toutes les parties concernées par le développement rural ;
2. Construire la sous région d'Afrique de l'Ouest ;
3. Assurer la souveraineté alimentaire par nos exploitations familiales.
A chaque fois, Mamadou prend soin de reprendre l'histoire des faits et des débats depuis la colonisation. Et ne parle pas la langue de bois ! Il explique les difficultés du mouvement paysan avec l'Etat mais aussi avec la Banque mondiale ou d'autres coopérations bilatérales. Quand aux accords APE avec l'Europe, il se bat pour que ces accords ne soient pas signés eux qui veulent ouvrir les frontières africaines aux produits alimentaires de l'Europe.
Dans le dernier chapitre "pour comprendre nos propres vies, revenons à nos racines" Mamadou Cissokho explique plus en détail le cheminement de sa réflexion tout au long de sa vie militante. Ce chapitre est particulièrement intéressant.
Dans sa conclusion le livre donne trois priorités : 1. reconstituer et valoriser les ressources naturelles "qui ont été excessivement sollicitées"; 2. développer et sécuriser les ressources humaines par la protection et la création d'emplois ruraux rémunérateurs et producteurs de richesses et d'espérance. 3. Assainir et reconstruire le politique car depuis les indépendances, "nous avons largement oublié la justice sociale et le dialogue". En final, Mamadou suggère de promouvoir ensemble un projet de société, de "refonder l'Etat".
Une idée qui pourrait bien avoir écho chez tous les indignés d'Europe et chez tous ceux qui appellent de leurs voeux des changements de société. Comme quoi on peut aussi apprendre d'un paysan africain. On le savait mais cela va mieux en le disant ! A lire absolument !!!
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