JEUNES EN QUENOUILLE
Article
rédigé en 2006 et réactualisé
2011 : rentré en France je ne peux que penser à ces
jeunes de la restauration que j'ai beaucoup fréquentés et qui acceptent de travailler alors que leurs salaires
ne sont pas payés depuis 9 mois, sans que cela n’émeuve personne, ni les
propriétaires des réceptifs touristiques, ni les ONG de solidarité censées
soutenir une entreprise qui devait donner des débouchés aux produits des ruraux
et créer de l’emploi pour les jeunes.
Angélique, qui accueille si bien les clients et les enfants, n'est pas payée depuis 9 mois alors qu'elle est chef de restaurant |
2006 : Parlons des jeunes hommes. Je rentre de Meckhe,
au nord de Thiès au Sénégal, ce vendredi 22 juin. Là-bas, il y avait de la
tristesse dans l’air : plusieurs jeunes ont quitté la région et n’ont pas
donné de leurs nouvelles depuis plusieurs semaines. Tous mes amis paysans
pensent à ces embarquements vers la mort qui partent en direction des Canaries.
Sûr que des jeunes de Meckhe ne donneront jamais de leurs nouvelles. La mer est
dangereuse.
Batch nous dit, avec tristesse, car son organisation de
producteurs essaie de stabiliser les jeunes dans la région avec des
financements et de la création d’emplois, de l’accompagnement des exploitations
familiales, que des crieurs viennent faire campagne dans les villages pour que
ceux-ci partent en émigration. Ces racoleurs annoncent les prix, très
officiellement : 500 000 FCFA pour partir en pirogue vers les
Canaries, 300 000 FCFA par la terre via Agadir.
Il faut reconnaître que la pêche n'est plus si rentable. La tentation de l'exil est forte |
On dit beaucoup dans la presse sénégalaise que ce sont les
jeunes pêcheurs qui partent. C’est probablement vrai. Il n’empêche que les jeunes ruraux des régions de
l’intérieur cherchent eux aussi à fuir, généralement vers Touba (la
capitale des Mourides, principale confrérie musulmane du Sénégal) ou vers Dakar.
Mais une quantité importante de jeunes a pris l’habitude de partir vers la
petite côte (Joal, Mbour) car autour du poisson se développaient plein de
métiers annexes. Aujourd’hui, du fait de la diminution de la ressource
halieutique, la zone de pêche devient une zone de chômage grandissant.
L’itinéraire des jeunes des zones rurales est donc le suivant pour nombre
d’entre eux : recherche d’emploi sur la petite côte puis embarquement vers
l’enfer (si le bateau coule) ou vers le paradis (si on arrive aux Canaries à
passer au travers des mailles du contrôle de l’immigration. Pour l’heure
11 000 Africains sont parqués aux Canaries.
Quelle autre alternative pour les jeunes que les petits boulots ? |
Qui aurait crû il y a quelques années que le Sénégal
connaîtrait comme le Vietnam, le Cambodge, l’Albanie ou Haïti des boat
people ? Certains membres de la communauté internationale
minimisent, disant que l’immigration a toujours existé en masse. Mais depuis
que la communauté internationale aide le Maroc à fermer ses frontières, alors
le bateau devient la solution… et il est plus visible que ces jeunes qui se
joignent aux caravanes pour traverser le désert.
En Afrique, la question des jeunes n’est pas une priorité.
La priorité au Sénégal est de remporter les élections. Il n’y a pas de
politique agricole, de politique des jeunes, de politique de l’emploi.
L’opportunisme est le cœur des stratégies politiques. Pourtant les jeunes
représentent plus de 60% de la population. On fabrique des programmes de lutte
contre la pauvreté inefficaces. On oublie que les pauvres sont d’abord les
ruraux et que les jeunes de la ville comme ceux de la campagne ne peuvent plus
accepter la situation qui leur est offerte. C’est la principale leçon de la
descente aux enfers de Haïti. Une amie agronome, très impliquée sur la question
des droits de l’homme, disait à propos de l’insécurité : « 30% des délinquants agresseurs ont
moins de 15 ans, 30% ont entre 15 et 28 ans. Le reste des délinquants à moins
de 25 ans. On ne peut pas les tuer ou les mettre tous en prison ! Il faut
créer de l’emploi ». Il y a du bon sens dans cette proposition. Mais
qui rebondira ?
Et puis, en 2011, sont venues ce qu’on appelle les
révolutions arabes. Nul doute que ces révolutions sont d’abord une révolte des
jeunes. Dans tous les pays du Sud les jeunes sont malmenés, qu’ils aient ou non
des diplômes. L’emploi est rare en
ville et les ruraux ne trouvent pas les financements pour mettre en valeur
leurs terres. Alors on trouve une sociologue rwandaise qui reste
standardiste malgré sa licence, des professeurs de mathématiques haïtiens
chauffeurs de taxi à Miami sans compter tous ces jeunes sans diplômes qui
forment le lumpen prolétariat des quartiers insalubres des grandes villes.
Plutôt que de vendre son corps, vendre des légumes pour aider maman |
Dans les centres touristiques, les jeunes filles cherchent
le Blanc qui sera leur jackpot… L’amour n’est pas là. Juste les sous, surtout
pour faire vivre la famille… Et pendant ce temps on apprend que les corps d'une centaine de personnes qui fuyaient l'Afrique ont été jetés en mer.
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