Si nous sommes en vacances, ou si nous nous préoccupons de
l’état de la planète, lisons ce livre plein de bon sens : « Famine
au Sud, malbouffe au Nord : comment le bio peut nous sauver »
publié aux éditions Nil, Paris, 2012, 194 pages, ISBN 978-2-84111-527-3.
Dans ce billet, je fais la recension du livre. J’aimerais,
si ma plume le permet, dire plus que le résumé d’un livre : exprimer avec
force que la vision exprimée par Marc Dufumier correspond à mes convictions
profondes. Dire surtout que seule
cette vision, si elle est mise en œuvre, nous permettra un réel optimisme pour
la planète.
Ce blog, même si ce n’est pas un livre cohérent, a des
continuités. J’ai écrit récemment sur les pesticides, le Bisphénol A, inspiré
par l’ouvrage de Marie-Monique Robin. J’ai décrit des phénomènes d’une gravité
exceptionnelle. Avec Marc Dufumier,
c’est une vision lucide d’espoir qui se dévoile, fondée sur des constats
identiques.
L’ouvrage de Marc Dufumier est facile à lire et a des
qualités pédagogiques. Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’auteur Marc
Dufumier, que j’ai croisé en Haïti et lors de diverses conférences en France
est un tout grand professionnel : ingénieur agronome, il est professeur
émérite en agriculture comparée et développement agricole à l’AgroParistech.
Son champ de travail fut la planète. Tout particulièrement, les paysans
malgaches ont marqué sa réflexion alors qu’il était jeune coopérant. Son
expérience lui a inspiré cet ouvrage qui a le grand mérite de faire le lien
entre les problématiques du Sud et celle du Nord. Pas nécessairement orienté
bio dans ses premières années, Marc en fait un excellent plaidoyer, plein de
réalisme.
Je décris la trame du livre sans dévoiler la richesse du
contenu... pour que vous investissiez dans cet ouvrage qui ne coûte que 18
euros dans les bonnes librairies de quartier, celles que nous devons contribuer
à faire vivre !
Dans son préambule, Marc rappelle, donnée incontestable,
qu’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès aux 2 200 kilocalories nécessaires
par jour. Il récuse la fatalité et met en cause les modèles agricoles
productivistes. Pour lui « l’agriculture
actuelle déraille » (je rappelle qu’il est agronome !) et « qu’une part importante des décisions doit
revenir aux paysans » ! Le décor est campé. Il fait rapidement
allusion « au grand dérèglement » avec l’apparition des
famines endémiques dans les années 60 puis dans les années 70 puis dans les
années 84. Aujourd’hui, dans bien des pays, la situation n’est pas meilleure.
Il conteste les explications faciles autour des guerres, de l’instabilité
politique. Marc Dufumier refuse ces analyses, rappelant que maintenant « ce sont les famines qui causent des conflits »
comme l’année 2008 l’a fait connaître au monde. L’auteur remet en cause le
modèle agricole et la fameuse révolution verte imposée aux pays du Sud, en
vertu de notre soi-disant savoir-faire.
Le grand dérèglement n’est pas spécifique aux pays du Sud.
En Europe également, une frange croissante de la population se nourrit grâce
aux Restos du cœur et à l’Armée du Salut. L’aide alimentaire dans le Sud est
souvent inefficace, voire un facteur aggravant. Marc Dufumier démonte avec
justesse les mécanismes de cette aide qui agit souvent à contre-sens.
Le pire, pour l’auteur est que la plupart de ceux qui ont
faim au Sud sont les agriculteurs eux-mêmes ou leurs parents partis en ville
dans le cadre d’un exode rural sans bon sens et sans avenir ! Alors qu’il
faudrait donner les moyens aux ruraux de produire plus de céréales et de
produits vivriers, d’autant que le marché international sera très demandeur à
l’avenir. Au nord il y a trop-plein de nourriture et de malbouffe qui favorise
accidents cardio-vasculaires, hypertension etc. Certes la durée de vie s’est
allongée au nord mais, selon certains spécialistes la tendance pourrait
s’inverser dans les prochaines années. Sous la pression des consommateurs et
face aux dégâts objectifs visibles dans la nature (pollution des eaux, érosion
des sols, paysages défigurés, perte de la biodiversité…), les pouvoirs publics
mettent de plus en plus de nouvelles normes à respecter par les agriculteurs
qui se sentent incompris. Pendant ce temps un grand SOS est lancé à propos de
la disparition des abeilles, ces grandes pollinisatrices !
Le second chapitre du livre, «Nos agriculteurs sont-ils
devenus fous ?» met en évidence le fait que les agriculteurs des pays du
nord ont attenté à l’équilibre écologique, contraints par le marché mais aussi
par la poussée des leaders syndicaux et organisations professionnelles vers
l’utilisation des produits chimiques et la motorisation, ce qu’on a appelé la
modernisation. La Politique agricole Commune de l’Europe, longtemps anti
libérale, est rappelée. Elle a eu pour effet d’accroître les productions
européennes. Mais, dans le cadre de la mondialisation et sous la pression des
concurrents cette politique a dû être abandonnée. Les prix chutèrent, compensés
par des subventions au cas par cas. De fait, les agriculteurs européens abandonnèrent
des plantes comme les légumineuses, si utiles pour fertiliser naturellement les
sols, pour ne se consacrer qu’aux produits subventionnés. Fut préféré
l’épandage d’engrais azotés avec les effets de serre qu’il entraîne dans
l’environnement ainsi que la dégradation des nappes phréatiques.
Ces pollinisatrices qui disparaissent ! |
Vint le diktat de la grande distribution, imposant
férocement des prix et des normes de qualité aux agriculteurs. Les
multinationales agroalimentaires ont décidé du choix des intrants dans toutes
les filières. Au final, les agriculteurs « se retrouvent doublement perdants : ils n’ont plus la maîtrise des
processus techniques, et doivent néanmoins assumer les risques de maladie ou
d’attaques parasitaires » ! Marc Dufumier illustre son
raisonnement avec la production « hors-sol »
du porc breton.
![]() |
Un matériel qu'il faut rentabiliser à tout prix |
La monoculture devient la règle. On ose cultiver la même
céréale sur le même champ plusieurs années de suite ! Ce faisant, on crée
les conditions pour la multiplication des insectes, des mauvaises herbes, des
champignons pathogènes. Alors arrivent les pesticides et les produits
phytosanitaires, qu’au fil du temps on appellera les produits
phytopharmaceutiques pour mieux faire passer la pilule. On s’apercevra vite que
ces produits tuent des insectes utiles et que les insectes nuisibles
développent une résistance. Et pendant des décennies, ce fut la course à la
recherche de nouvelles molécules, entraînant la résistance de certains insectes
à 2,3 voire 4 molécules.
Marc Dufumier ne croit pas que les agriculteurs soient
inconscients des risques qu’ils prennent. Mais « des logiques économiques perverses sont à l’œuvre » obligeant
les agriculteurs à rentabiliser au maximum leur investissement pour rembourser
leur crédit : « Pour
rentabiliser les matériels agricoles, il faut pouvoir les employer à grande
échelle ». Et tout le savoir-faire historique des paysans d’antan
tombe. Fi des haies et des bocages, fi des arbres. On aplanit, on remembre. Les
brise-vent disparaissent. On ne gère plus la matière organique.
Le libéralisme a fait qu’en France les agriculteurs ne
produisent qu’un quart des besoins du pays en protéines végétales. Donc la
France est vulnérable à deux titres : risque pour la souveraineté
nationale, risque d’importer des OGM dont on ne connaît pas les conséquences
futures.
Pour Marc, il est temps de refonder l’agriculture. Et il
pose une affirmation qui sera le titre de son chapitre 3 : « quand la
tradition n’est pas synonyme d’archaïsme ». Et il ose qualifier les
agricultures du Sud de savantes : « les paysans qui ont mis en œuvre ces systèmes, mêmes s’ils sont
analphabètes, savent bien comment aménager au mieux leurs agrosystèmes avec les
maigres moyens de production dont ils disposent […]. Il n’y a ni immobilisme, ni passéisme » Et Marc de
conclure : « Il serait donc
vain de vouloir prétendre aider le Sud en faisant abstraction des savoir-faire accumulés
depuis la nuit des temps, sans connaître les modes de production locaux et les
raisons de leur maintien ». L’auteur détaille certaines pratiques
culturales anciennes, souvent critiquées par ailleurs : l’agriculture sur
abattis-brûlis, le nomadisme pastoral, les cultures associées, la riziculture
inondée.
A l’inverse, il est démontré (chapitre 4) qu’au Sud la
modernité n’est pas synonyme de progrès. Les systèmes extensifs (grandes fermes
détenues par des urbains riches qui s’accaparent des terres pour en tirer le maximum
de profits) causent la déruralisation (exode rural) et l’érosion des sols du
fait d’une utilisation abusive de la mécanisation. La « révolution »
verte, avec sa propension intrinsèque à la monoculture (comme au Nord) a imposé
de nouvelles variétés en petit nombre qui ne pouvaient pousser qu’à grands
renforts d’eau, d’engrais de synthèse et de pesticides… Par suite, les
rendements ont chuté car les paysans n’avaient pas accès à cette chimie
agricole, même si des systèmes de crédit agricole ont été conçus, appauvrissant
davantage les paysans. L’exode rural s’intensifie, ainsi que les migrations
internationales clandestines. Certes, en certains lieux, les rendements se sont
accrus. Mais, à terme, ceux-ci ne peuvent que décroître, à moins de mettre
toujours plus d’intrants chimiques. Même cercle vicieux que dans les pays
occidentaux avec les mêmes externalités négatives y compris sur les autre
écosystèmes. L’erreur fatale est bien là : vouloir « adapter l’environnement à un nombre de
variétés très faible, au lieu de laisser au paysan le choix des variétés en
fonction de l’environnement ».
Les OGM (chapitre 6) sont souvent présentés comme la panacée
pour réduire la faim dans le monde. Marc Dufumier en décrit le principe de fonctionnement
et tire le bilan des OGM de première génération qui devraient, selon leurs promoteurs
avoir 4 avantages majeurs : accroissement des rendements, baisse des coûts
de production, gains notables en éléments nutritifs, protection facilitée des
cultures contre la concurrence des mauvaises herbes. L’auteur démontre que les
résultats sont loin d’être présents dans les zones où ils ont été largement
employés. Concernant les OGM de seconde génération, dans lesquels « on s’efforce d’intégrer et combiner
plusieurs gènes afin de rendre les plantes plus riches en qualité nutritives et
gustatives, plus résistantes aux agents pathogènes, aux stress hydriques ou à
la salinité des sols », Marc Dufumier reste prudent dans l’analyse
mais se pose une question clef : n’est-ce pas jouer aux apprentis sorciers
que de vouloir commercialiser ces variétés avant d’avoir sérieusement étudié l’ensemble
de ces interactions entre gènes de mêmes plantes ? Mais, plus
fondamentalement, l’agronome conteste que la solution soit de se focaliser sur
l’« amélioration » génétique. En admettant que les OGM de seconde
génération soient sans danger et puissent être cultivés par les paysans pauvres
de la planète, ces derniers devraient rapidement accroître la fertilisation de
leurs champs pour compenser les pertes d’éléments minéraux prélevés à chaque
récolte. Les gains de rendement ne pourraient être maintenus et on se retrouverait
à la case départ, avec les dettes et les dégâts environnementaux en plus !
Marc Dufumier affirme que ce n’est pas le potentiel génétique des plantes qui limite les
rendements mais la fertilité globale des agrosystèmes. Et l’auteur réaffirme
que les paysans ont intérêt à associer plus de variétés végétales dans un même
champ, ce qu’ils savaient faire. Il est temps de redonner du pouvoir aux paysans.
En seconde partie, Marc Dufumier expose sa vision. Il plaide
d’abord pour l’agroécologie (chapitre 7), riche de plusieurs techniques qui ont
fait leurs preuves et qui permettront aux paysans de doubler leur production
dans les quatre décennies à venir tout en s’adaptant au réchauffement
climatique, en atténuant les émissions de gaz à effet de serre et en respectant
au mieux le cadre de vie des populations urbaines et rurales. L’agronome souhaite
le développement de l’énergie solaire, non par des panneaux photovoltaïques, mais
en favorisant la photosynthèse : « Plus un seul rayon de soleil ne doit tomber directement à terre sans
que son énergie n’ait été utilisée pour la photosynthèse ». Pour bien
réussir, l’action solaire nécessite l’entretien de haies vives autour des
parcelles afin de protéger du dessèchement par les vents et limiter le
ruissellement des eaux. On est loin de ces approches agronomiques qui ont fait
abattre toutes les haies pour laisser passer les tracteurs !
![]() |
Agroforesterie en Haïti |
![]() |
Paysan sénégalais de l'UGPM (Meckhe) |
« Le libre-échange, c’est le vol » affirme l’agronome
dans le chapitre 9. Il le démontre largement lui opposant un commerce équitable
qui ne pourra exister que si les règles du commerce international sont revues
de fond en comble. Il insiste sur les prix agricoles, totalement aberrants, car
imposant « aux paysans du Sud d’être
deux cent fois moins rémunérés que leurs concurrents du Nord ». Et
Marc Dufumier de tirer les conséquences : « demander aux pays du Sud d’acheter nos surplus agricoles suppose que
nous soyons prêts à accueillir les miséreux du monde. Bizarrement les chantres
du libéralisme se font très discrets sur ce deuxième aspect ! ».
Dans le dernier chapitre, des propositions sont faites pour
les agriculteurs et les campagnes du nord : arrêter la course au
productivisme, rediversifier les systèmes de production, diminuer la dépendance
aux importations agricoles et produire plus de légumineuses… et moins d’algues
vertes ; développer les labels et la filière bio en s’appuyant sur la
restauration collective. 2013 doit être l’année de renégociation de la PAC.
Marc Dufumier estime que c’est une occasion à ne pas manquer pour mettre en
place une politique des prix plutôt qu’une politique de subventions, rémunérer
directement les agriculteurs comme « jardiniers de paysage », créer
un bonus-malus sur les productions en fonction de leur niveau de pollution.
![]() |
maraîchage bio au Sénégal (Jardins d'Afrique) |
Ce livre, qui se termine par un glossaire utile pour les non-initiés
et est complété par des graphiques, est une vraie bouffée d’air frais ! C’est
encourageant d’entendre un agronome au si long parcours international, tenir de
tels propos. Partager son point de vue est une exigence qui s’impose à tous ceux
qui souhaitent lutter contre la dégradation de notre environnement et la
malbouffe qui n’est pas simplement cantonnée dans les Mac Do et autres Quick. Bonne
lecture !
[1] /
Je me souviens qu’au début des années 90 c’était aussi la tendance voulue par
les services agricoles du Rwanda et les coopérants qui les conseillaient.
Un bien beau billet Bernard, je ne saurais qu'y rajouter tant il est est bien renseigné.
RépondreSupprimerJe suis bien d'accord avec Marc Dufumier (il porte bien son nom pour s'occuper de la terre....chuttt, ne lui dis pas mes bêtises), il faut revoir notre façon de cultiver la terre et ne pas trop se fier aux promesses des multinationales.
Les nouvelles variétés de blé ne sont pas spécialement bonnes pour la santé, trop de gluten, d'où explosion d'allergies et autres maladies.
http://www.youtube.com/watch?v=_cpIV9GJS5Q&feature=player_embedded#at=314
C'est quand même terrible de ne plus avoir le droit de donner ses graines, et d'être obligé d'en passer par les semenciers. Un cycle infernal !
Toute cette chimie est nuisible à la terre, ainsi qu'à tous les humains, notamment aux plus petits, insectes compris. Tout cela se paie et les hôpitaux sont bien remplis.....par des personnes qui vivent certes plus longtemps, mais pas en meilleure santé, et le pire par de nombreux enfants.
Il est tant que l'homme regarde et voit la réalité en face et cesse de faire l'autruche.
Par contre, j'ai bien peur que nous allions au-devant d'une nouvelle crise alimentaire, en raison des vagues de sécheresse et des dégâts causés par les inondations.
Faut-il en passer par là pour que l'homme soit responsabilisé ?
Ce sont toujours les plus pauvres qui font les frais de cette politique stupide, à croire que Dieu ne reconnait que les riches. Ce qui me semble bien réel !
Comme le dit Jean Ziegler, Dieu n'a que nos bras pour faire les choses, ce qui veut tout dire..... !
Belle fin de journée.
Amicalement,
Chantal.