La vie est bizarre. Un ami a créé un site qui s'appelle le banc. Il me demande d'écrire un texte pour son banc. Et moi, dans l'article précédent, je phosphore sur la disparition des abeilles et sur l'invasion des coccinelles. Et me vient ce conte, testé avec des enfants, mais c'est en fait un conte pour adulte. Pardonnez moi. Bernard
La petite fille de huit ans, Diane de son prénom, était
assise sur le banc.
Punie, puisqu’elle avait mal répondu à sa mère
Peu importe qu’on soit mercredi, jour des enfants,
Peu importe qu’il fasse beau (si rare en ce mois de juillet),
Une maman est une maman et on ne lui répond pas. Nah !
Alors le banc était le piquet de la petite fille tandis que
son frère faisait du roller, sans oublier quelques pieds de nez à sa sœur
punie.
Diane allait se laisser mourir d’ennui (et de rage contre sa
mère) quand elle eut soudain de la visite impromptue : une abeille à
droite, une coccinelle à gauche.
Diane a failli s’énerver avec la coccinelle : « quoi, encore toi ? J’étais en Vendée la
semaine dernière, on ne pouvait même pas manger au restaurant. Vous aviez
déroulé le tapis rouge, mais quel tapis rouge ! Un tapis rouge avec des
pattes. Aujourd’hui on ne peut même pas faire un pas au jardin des tuileries et,
pire, dans les parcs de Villejuif, sans tomber sur tes sœurs à sept points
noirs sur le dos ? Vous aviez
déjà fait le coup en 1991 (d’accord je n’étais pas née), en 1997 (pas née
encore mais on m’a raconté) ou encore en 2005. Que vous a–t-on fait pour que
vous vous preniez pour des Vikings, à nous envahir d’un coup d’un seul ? »
La coccinelle se fâche tout rouge (eh, eh, elle est bonne
celle-là !) et répond aussi sec à la petite fille : « Dis donc, qu’est-ce que tu apprends à
l’école ? On ne t’a pas dit qu’il y avait la sécheresse et que les paysans
se dépêchaient de récolter ? Et toi, tu crois qu’on se cachait où ?
Dans les champs de blé ! Mais avec leurs machines qu’on ne supporte pas,
mais pas du tout (pollution par le bruit, par la poussière) ! Nous avons
dû fuir : exode rural ! Et il y avait un de ces vents ! Nous
avions la trouille de nous retrouver emportées en pleine mer. Mais nous avons
été malignes. Nous avons sorti le train d’atterrissage pour descendre sur vos
plages, sinon c’était le bouillon ! Et on peut cohabiter non ? Vous,
vous avez bien cohabité entre la gauche et la droite. Vous pouvez bien nous
faire une petite place sans rechigner ! ».
Diane est un peu ébranlée : d’une part parce qu’elle
n’a pas l’habitude d’entendre une coccinelle parler. Encore moins faire de la
philosophie. Diane se fait interpeller par sa mère.
Elle l’envoie sur les roses
(mais garde la coccinelle) : « ne
me dérange pas. Je suis dans ma leçon de choses ». Comme il fait beau,
la mère ne la ramène pas.
Diane n’est pas très chrétienne mais sait bien qu’on appelle
les coccinelles les « bêtes à Bon Dieu ». Donc il faut faire
attention à ce qu’on leur dit, des fois qu’elles iraient tout rapporter
là-haut. Et puis comme les parents de Diane militent à gauche, elle sait ce que
c’est que la solidarité. Donc faut faire gaffe avec les coccinelles…
Le banc commence à s’énerver. Ce dialogue, qui laisse de
côté l’abeille ne lui semble pas du tout participatif. Certes, il aime la
discussion (forcément la nature cela le concerne sinon on le remplacera par un
ascenseur dans un grand « Crédit Lyonnais ») mais il n’empêche que
d’ici là il faut savoir se parler pour lutter ensemble. Et il se met à
parler :
Le banc : « Diane,
vraiment, je crois que tu devrais moins regarder de dessins animés à la
télé !. Tu écoutes ? Moi je vais te dire ce que notre amie la
coccinelle a oublié de te dire : quand on coupe les champs de blés, cela
ne libère pas seulement des sauterelles mais aussi des pucerons. Et les
coccinelles sont les grands prédateurs des pucerons ».
Le banc : « Tu
as déjà vu des pucerons sur les rosiers de ta maman ? Tu as déjà eu des
pucerons dans ton lit ?
Diane : « Les
pucerons ? On n’en fait qu’une bouchée dans les rosiers. Un coup de
« Round up » et l’affaire est réglée ! » Mais dis moi,
banc, c’est quoi des prédateurs ? »
Le banc : « C’est
difficile à expliquer. Ce sont des gens qui « mangent » les autres, par
exemple Sarkozy, Berlusconi, Bush, Khadafi, Ben Ali. Des prédateurs, il y a en
a plein le monde : à deux pattes, à quatre pattes, à six pattes ou sans
pattes du tout. »
Le banc : « Non,
il ne faut pas confondre. Les prédateurs dans le monde des adultes, ce sont des
gens qui n’ont pas de bonnes motivations. Ils courent après l’argent, le
pouvoir. Mais tu crois que la coccinelle est dans ce même monde ? Non,
elle se nourrit seulement et en se nourrissant, elle arrange bien les affaires
des grandes personnes. Grâce à elles, nous pouvons avoir des fleurs et des
légumes sans pesticides ».
Diane: « ok,
mais tu restes à distance, car tu es une super hypocrite. Tu nous donnes du
miel mais en même temps, si tu peux nous piquer, tu ne nous rates pas ! Il
faut une vraie carapace de cosmonaute pour t’approcher ! Ma maman m’a
toujours dit que quand tu approches il ne faut pas bouger et surtout fermer la
bouche car si je t’avale et que tu me piques, je meurs ».
L’abeille : « Banc,
tu ne parles pas à ma place. Tu dis que tu es participatif mais tu as toujours
le crachoir. Mais je dois parler et que personne ne m’interrompe ! Tout à
l’heure, Diane ne m’a pas bien accueilli. A preuve : elle a discuté avec
la coccinelle et pas avec moi. Alors que je suis victime d’un génocide ».
Le banc : « Diane,
c’est l’horreur : un génocide, c’est quand on tue tout un peuple.
Volontairement, délibérément, juste parce qu’il ne serait pas de la bonne
couleur, de la bonne race ou de la bonne religion. Comme les Allemands ont tué
les Juifs lors de la guerre 39-45, comme les Serbes ont tué les musulmans à la
dislocation de la Yougoslavie, comme des Tutsis ont été tués au Rwanda, avec
des Hutus modérés. Il y a des formes plus complexes de génocide, comme Kadhafi
qui tue son peuple, à ce qu’on dit mais je pense que c’est vrai ».
L’abeille : « dis,
tu me laisses parler ? Arrête de
penser pour nous comme les ONG de solidarité internationale !»
La coccinelle : « Eh ! Abeille, ne fais pas la maligne. En Vendée, sous prétexte
qu’on les empêchait de manger, les touristes, mais surtout les hôteliers ne
nous faisaient pas de cadeaux. Et le commerce des bombes insecticides (contre
moi et mes sœurs) a dû marquer un pic ».
La maman de Diane commence à se poser des questions. Sa
fille, punie, ne pleure pas ; Elle a juste les sourcils froncés.
Concentrée. La maman n’insiste pas : quand il fait beau, quand on est dans
un parc, on ne punit pas.
L'abeille : « Coccinelle,
je ne fais pas la maligne. Mais tu devrais apprendre de notre peuple et de ce
qui lui arrive. Il y a eu de sales histoires entre les hommes dans le passé. On
croyait que l’affaire était finie. Mais regarde ce qui arrive aux Noirs qui
viennent en pirogue depuis l’Afrique ? Regarde comment on traite les
Harkis en France ? Regarde le devenir des Chicanos originaires du Mexique
aux Etats-Unis. Alors, petite coccinelle, tu n’es pas protégée. Mais laisse moi
te raconter mon histoire ».
L'abeille : « Je ne pleure pas plus que Diane ou le banc. Regarde-les ! »
Tous : « Faisons gaffe, la mère de Diane va rappliquer ! »
L'abeille : « Allez,
je vous dis tout. Mais ne répétez pas mes paroles sinon je risque d’être
fichée. »
Tous : « tu
nous fais confiance ou pas ? »
L'abeille : « Je
suis bien obligée car moi aussi je risque de mourir, comme toutes mes sœurs qui
sont parties. Le problème est qu’on n’a jamais trouvé leur corps. Faire le
deuil sans corps, c’est difficile, non ? Que s’est-il passé ? Une
sorte de collision qui nous a été fatale : des pesticides plus une
bactérie qui est dans la nature ; il paraît que la rencontre des deux nous
détruit. Ne me demandez pas de détails. Ce que je sais me vient des
associations d’apiculteurs. Plutôt des gens qui nous aiment (forcément, ils
gagnent avec nous … du profit ? En tous cas, les 35 heures ne sont jamais
arrivées chez nous) mais ces associations se battent pour nous. Ce sont les
scientifiques qui ont mis en évidence cette histoire de collision de pesticides
et de bactéries. Le fait est que nous mourrons, nous mourrons, nous mourrons ».
L'abeille : « Ne
compare pas ce qui n’est pas comparable. Moi et mes sœurs nous travaillons pour
la pollinisation. Cela veut dire, on prend le sperme ou les ovules d’une plante
et on les porte sur une autre pour faciliter la reproduction. Toi tu ne fais
que bouffer les pucerons. Tu ne crées pas la vie ».
Manque de chance : les oreilles de maman traînaient.
Banc sait faire diversion.
Maman à banc : « Je vois qu’on peut vous faire confiance. Vous savez élever le débat »
L'abeille : « Celle-là,
elle commence à me faire braire. Je vais la piquer. »
Tous : « vas-y, vas-y »
Tous : « vas-y, vas-y »
Tous : « vas-y,
vas-y »
La maman : « vas-y,
vas-y »
L'abeille : « Eh
bien je dois vous dire au revoir. Je vais me sauver en Afrique. Là-bas, il n’y
a pas de centrales nucléaires qui vous sautent sur les trompes et j’ai appris
que là-bas les abeilles ne meurent pas. Je ne sais pourquoi. Mais au moins je
pourrai produire le miel que je veux car là-bas, ils se moquent des normes de
la commission européenne. Le pied : miel de brousse, miel d’acacia, miel
de palétuvier ! »
Et le banc pleura. Lui, il était rivé dans son parc et maintenant
ses pieds lui faisaient mal.
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