ISBN : 978-2-213-66621-1, Fayard, 5 euros |
Il était 14 heures hier. J’entame le livre de Stéphane
Hessel et Edgar Morin, le chemin de l’espérance. Il pleut et il fait
froid sur la terrasse de café où je me suis installé. Je ne lâcherai pas ce
livre avant de l’avoir fini. Je n’ai pas de mérite, il ne fait que soixante
pages, écrites en gros caractères. Mais que du bonheur !
D’entrée de jeu les deux auteurs, de jeunes vieillards de 90
et 94 ans, donnent le ton du premier chapitre,
« la France dans le monde » : « Notre propos est de dénoncer le cours pervers d’une politique aveugle
qui nous conduit aux désastres.[…]. Toute l’humanité subit les mêmes menaces
mortelles qu’apportent la prolifération des armes nucléaires, le déchaînement
des conflits ethno-religieux, la dégradation de la biosphère, le cours
ambivalent d’une économie mondiale incontrôlée, la tyrannie de l’argent, la
conjonction d’une barbarie venue du fond des âges et de la barbarie glacée
propre au calcul technique et économique ». Le décor est campé. Il est
sinistre mais décrit avec une lucidité redoutable. Dans ce contexte, par leur
ouvrage, Stéphane et Edgar veulent énoncer une voie de salut public, annoncer
une nouvelle espérance, dans un monde où « le libéralisme économique, prétendant succéder aux idéologies, se
révèle comme une idéologie en faillite ».
La mondialisation est critiquée de manière objective (elle a
apporté le meilleur et le pire), pour arriver à la conclusion qu’il faut savoir
à la fois mondialiser (pour perpétuer et développer tout ce que la
mondialisation apporte d’intersolidarités et de fécondités culturelles) et démondialiser
pour redonner sa place à l’économie sociale et solidaire, à l’économie de
terroir, l’agriculture vivrière et l’alimentation qui y est liée. Pour les
auteurs il est des actions et des politiques à faire croître et d’autres à
faire décroître. Et ils entrent dans les détails que je ne donnerai pas pour
que vous achetiez ce livre !
Dans ce monde mal parti où des Indignés se lèvent partout,
les auteurs nous invitent à avoir conscience du moment dramatique que vit
l’espèce humaine, de ses ambivalences, de ses périls, mais aussi de ses
chances.
Le deuxième chapitre de ce livre qui n’en comporte que deux,
de taille fort inégale puisque ce second chapitre fait presque tout le livre,
Stéphane Hessel et Edgar Morin proposent « une politique pour la
France » que feraient bien de lire tous ces messieurs et dames qui
prétendent aux plus hautes responsabilités dans notre pays.
De nouveau ils établissent, avec des mots très durs, des
constats sur la situation actuelle de notre pays : « appétits déchaînés du profit, dégradation des solidarités concrètes,
hyperbureaucratisation des administrations publiques et privées, exacerbation
et pression de la compétitivité, forme dégénérée de la concurrence, intoxications consuméristes poussant à
l’achat de produits doté de qualités illusoires » etc. Mais, plus
grave soulignent-t-ils, le bien-être matériel n’a pas apporté le bien-être mental,
à voir les consommations d’antidépresseurs et les solitudes personnelles qui se
développent pour au moins 4 millions de Français. La xénophobie se développe
officiellement, rappelant les pires heures sous Pétain.
Selon Stéphane et Edgar, il faut réformer et transformer et
d’abord revenir à une politique du bien-vivre, réformant en profondeur notre
société et nos modes de vie et ils proposent, définissant dans l’ouvrage,
contre l »hégémonie de la quantité, du calcul, de l’avoir, une vaste
politique de qualité de la vie.
Il faut se séparer au plus vite de l’intoxication automobile, de la pollution
publicitaire, du gaspillage du jetable. Il faut revenir à une ruralité
fermière, restaurer la qualité de l’eau avec deux grandes tendances à assurer
de front : la réhumanisation des villes et la revitalisation des
campagnes. « Administration
publiques et entreprises devront être réformées pour dé-bureaucratiser, dé-scléroser,
dé-compartimenter, donner initiative et souplesse aux fonctionnaires et aux
employés ».
Le bien-être passera par la revitalisation de la solidarité
et des maisons de la Fraternité doivent être créées partout. Ils en établissent
les contours. Ils définissent ensuite une politique de la jeunesse « qui reconnaît la dignité de tous les jeunes
rejetés ». Les auteurs souhaitent que l’éthique revienne au devant de
la scène, faite de solidarité et de refus de la corruption.
Des actions fortes doivent être menées dans le domaine du
travail et de l’emploi car la crise est double et affecte à la fois les
conditions de travail et l’emploi.
Sur le plan économique, ils demandent de promouvoir une
économie équitable, sociale et solidaire au sein d’une économie plurielle.
Cette économie devra être écologique, juguler la spéculation financière tandis
qu’une vraie politique de consommation devra être définie.
Les auteurs sont très sensibles aux inégalités. Ils
notent : « l’accroissement des
inégalités depuis l’omniprésence du néolibéralisme économique accroît les
formes de pauvreté, accentue la dégradation de la pauvreté en misère, augmente
le pouvoir des riches, intensifie les corruptions au sein de la classe
dirigeante, cependant qu’une petite oligarchie profite d’invraisemblables
privilèges fiscaux ». Un conseil
permanent de lutte contre les inégalités devra être créé, s’attaquant
aux distorsions salariales et plus généralement au déséquilibre accru dans la
relation capital-travail.
Hessel et Morin rappellent cette phrase de Rousseau qui
devra inspirer une réforme profonde de l’éducation : « Je veux lui apprendre à vivre ».
Cette réforme passera nécessairement par une nouvelle formation des maîtres
dans le primaire, la coopération de savoirs disciplinaires demeurés séparés les
uns des autres dans le secondaire, enseigner ce qu’est l’être humain dans sa
triple nature biologique, individuelle et sociale. Pour les auteurs, « il est capital d’enseigner la compréhension
humaine qui seule permet d’entretenir les solidarités et les fraternités ».
Le cœur de la nouvelle politique de l’éducation sera, dans l’université, une
réforme de la pensée. Je vous laisse découvrir…
L’ouvrage se termine par des propositions sur la « culture esthétique » qui « nous aide à nous émerveiller et nous permet
de regarder l’horreur en face ».
Les derniers paragraphes de l’ouvrage portent sur l’Etat et
la démocratie dans un contexte où »il
existe incontestablement des processus de dégénérescence, de dessèchement de la
démocratie » […] « alors
que ce pays est on ne peut plus vivant dans ses tréfonds ».
L’ouvrage s’achève sous un paragraphe au titre de
« régénération ». Les auteurs y expliquent : « nous ne voulons pas fonder un parti nouveau,
ni nous rallier à un parti ancien, mais nous souhaitons que s’opère une
régénérescence à partir des quatre sources qui alimentent la gauche : la source libertaire
qui se concentre sur la liberté des individus ; la source socialiste,
qui se concentre sur l’amélioration de la société ; la source communiste
qui se concentre sur la fraternité humaine. Ajoutons-y la source écologique,
qui nous restitue notre lien et notre interdépendance avec la nature et plus
profondément notre Terre-mère ».
Ce livre est admirable car on y prend de la hauteur. La
société France est analysée dans son contexte mondial dramatique et les propositions
attaquent la racine des maux qui affectent l’humain dans notre société, dont un
capitalisme effréné et prédateur qui est à bout de souffle. Ce livre est fait pour pour qui aime « l’humain
d’abord » A lire, à prêter, à donner, à
partager… en écoutant Jean Ferrat ou Léo Ferré chantant Aragon !
Vos commentaires me pousse à aller chercher ce livre. Ce que vous avez relevé sont effectivement essentiels et je vous en remercie. Pour des pays comme Madagascar, dont je suis ressortissant et là où je vis, les mêmes problématiques aussi surviennent sauf que des régions entières sont dans la disette, certaines n'ont pas d'eau potable, la défécation en plein air est courant...pour ne citer que cela dans la vie quotidienne. Les forêts disparaissent soit victimes du "tavy", le slash & burn des paysans sinon elles font l'objet de coupes sauvages de trafics mafieux vers des pays peu regardants... Enfin, ce ne sont que quelques clichés d'une mauvaise gouvernance, d'un choix de société de quelques "chefs de clans" mafieux ... Merci encore pour votre billet. Amicalement Yvon RAKOTONARIVO Antananarivo yrakotonarivo@gmail.com
RépondreSupprimerMerci de ce témoignage vrai et fondamental. On reste en contact. Cordialement
RépondreSupprimerbernard